Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine

Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine
Author: Confucius, Mencius
Pages: 844,529 Pages
Audio Length: 11 hr 43 min
Languages: fr

Summary

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[1] Commentaire.

[2] Glose.

[3] Le philosophe Yang-tseu


CHAPITRE II.

1. Le philosophe TCHOUNG-NI (KHOUNG-TSEU) dit: L'homme d'une vertu supérieure persévère invariablement dans le milieu; l'homme vulgaire, ou sans principes, est constamment en opposition avec ce milieu invariable.

2.L'homme d'une vertu supérieure persévère sans doute invariablement dans le milieu; par cela même qu'il est d'une vertu supérieure, il se conforme aux circonstances pour tenir le milieu.L'homme vulgaire et sans principes tient aussi quelquefois le milieu; mais, par cela même qu'il est un homme sans principes, il ne craint pas de le suivre témérairement en tout et partout (sans se conformer aux circonstances[4]).

Voilà le second chapitre.

[4] Glose


CHAPITRE III.

1.Le Philosophe (KHOUNG-TSEU) disait: Oh!que la limite de la persévérance dans le milieu est admirable!Il y a bien peu d'hommes qui sachent s'y tenir longtemps!

Voilà le troisième chapitre.


CHAPITRE IV.

1.Le Philosophe disait: La voie droite n'est pas suivie; j'en connais la cause: les hommes instruits la dépassent; les ignorants ne l'atteignent pas.La voie droite n'est pas évidente pour tout le monde, je le sais: les hommes d'une vertu forte vont au delà; ceux d'une vertu faible ne l'atteignent pas.

2.De tous les hommes, il n'en est aucun qui ne boive et ne mange; mais bien peu d'entre eux savent discerner les saveurs!

Voilà le quatrième chapitre.


CHAPITRE V.

1.Le Philosophe disait: Qu'il est à déplorer que la voie droite ne soit pas suivie!

Voilà le cinquième chapitre. Ce chapitre se rattache au précédent qu'il explique, et l'exclamation sur la voie droite qui n'est pas suivie sert de transition pour relier le sens du chapitre suivant. (TCHOU-HI.)


CHAPITRE VI.

1. Le Philosophe disait: Que la sagesse et la pénétration de Chun étaient grandes! Il aimait à interroger les hommes et à examiner attentivement en lui-même les réponses de ceux qui l'approchaient; il retranchait les mauvaises choses et divulguait les bonnes. Prenant les deux extrêmes de ces dernières, il ne se servait que de leur milieu envers le peuple. C'est en agissant ainsi qu'il devint le grand Chun!

Voilà le sixième chapitre.


CHAPITRE VII.

1. Le Philosophe disait: Tout homme qui dit: Je sais distinguer les mobiles des actions humaines, présume trop de sa science; entraîné par son orgueil, il tombe bientôt dans mille pièges, dans mille filets qu'il ne sait pas éviter. Tout homme qui dit: Je sais distinguer les mobiles des actions humaines, choisit l'état de persévérance dans la voie droite également éloignée des extrêmes; mais il ne peut le conserver seulement l'espace d'une lune.

Voilà le septième chapitre.Il y est parlé indirectement du grand sage du chapitre précédent.En outre, il y est question de la sagesse qui n'est point éclairée, pour servir de transition au chapitre suivant.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE VIII.

1. Le Philosophe disait: Hoeï[5], lui, était véritablement un homme!Il choisit l'état de persévérance dans la voie droite également éloignée des extrêmes.Une fois qu'il avait acquis une vertu, il s'y attachait fortement, la cultivait dans son intérieur et ne la perdait jamais.

Voilà le huitième chapitre.

[5] Le plus aimé de ses disciples, dont le petit nom était Yan-youan


CHAPITRE IX.

1.Le Philosophe disait: Les États peuvent être gouvernés avec justice; les dignités et les émoluments peuvent être refusés; les instruments de gains et de profits peuvent être foulés aux pieds: la persévérance dans la voie droite également éloignée des extrêmes ne peut être gardée!

Voilà le neuvième chapitre.Il se rattache au chapitre précédent, et il sert de transition au chapitre suivant.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE X.

1. Tseu-lou [disciple de KHOUNG-TSEU] interrogea son maître sur la force de l'homme.

2.Le Philosophe répondit: Est-ce sur la force virile des contrées méridionales, ou sur la force virile des contrées septentrionales?Parlez-vous de votre propre force?

3.Avoir des manières bienveillantes et douces pour instruire les hommes; avoir de la compassion pour les insensés qui se révoltent contre la raison: voilà la force virile propre aux contrées méridionales; c'est à elle que s'attachent les sages.

4.Faire sa couche de lames de fer et de cuirasses de peaux de bêtes sauvages; contempler sans frémir les approches de la mort: voilà la force virile propre aux contrées septentrionales, et c'est à elle que s'attachent les braves.

5.Cependant, que la force d'âme du sage qui vit toujours en paix avec les hommes et ne se laisse point corrompre par les passions est bien plus forte et bien plus grande!Que la force d'âme de celui qui se tient sans dévier dans la voie droite également éloignée des extrêmes est bien plus forte et bien plus grande!Que la force d'âme de celui qui, lorsque son pays jouit d'une bonne administration qui est son ouvrage, ne se laisse point corrompre ou aveugler par un sot orgueil, est bien plus forte et bien plus grande!Que la force d'âme de celui qui, lorsque son pays sans lois manque d'une bonne administration, reste immuable dans la vertu jusqu'à la mort, est bien plus forte et bien plus grande!

Voilà le dixième chapitre.


CHAPITRE XI.

1.Le Philosophe disait: Rechercher les principes des choses qui sont dérobées à l'intelligence humaine; faire des actions extraordinaires qui paraissent en dehors de la nature de l'homme; en un mot, opérer des prodiges pour se procurer des admirateurs et des sectateurs dans les siècles à venir: voilà ce que je ne voudrais pas faire.

2.L'homme d'une vertu supérieure s'applique à suivre et à parcourir entièrement la voie droite.Faire la moitié du chemin, et défaillir ensuite, est une action que je ne voudrais pas imiter.

3.L'homme d'une vertu supérieure persévère naturellement dans la pratique du milieu également éloigné des extrêmes.Fuir le monde, n'être ni vu ni connu des hommes, et cependant n'en éprouver aucune peine, tout cela n'est possible qu'au saint.

Voilà le onzième chapitre. Les citations des paroles de KHOUNG-TSEU par Tseu-sse, faites dans l'intention d'éclaircir le sens du premier chapitre, s'arrêtent ici. Or le grand but de cette partie du livre est de montrer que la prudence éclairée, l'humanité ou la bienveillance universelle pour les hommes, la force d'âme, ces trois vertus universelles et capitales, sont la porte par où l'on entre dans la voie droite que doivent suivre tous les hommes. C'est pourquoi ces vertus ont été traitées dans la première partie de l'ouvrage, en les illustrant par l'exemple des actions du grand Chun, de Yan-youan (ou Hoeï, le disciple chéri de KHOUNG-TSEU), et de Tseu-lou (autre disciple du même philosophe). Dans Chun, c'est la prudence éclairée; dans Yan-youan, c'est l'humanité ou la bienveillance pour tous les hommes; dans Tseu-lou, c'est la force d'âme ou la force virileSi l'une de ces trois vertus manque, alors il n'est plus possible d'établir la règle de conduite morale ou la voie droite, et de rendre la vertu parfaite.On verra le reste dans le vingtième chapitre.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE XII.

1.La voie droite [ou la règle de conduite morale du sage] est d'un usage si étendu, qu'elle peut s'appliquer à toutes les actions des hommes; mais elle est d'une nature tellement subtile, qu'elle n'est pas manifeste pour tous.

2.Les personnes les plus ignorantes et les plus grossières de la multitude, hommes et femmes, peuvent atteindre à cette science simple de se bien conduire; mais il n'est donné à personne, pas même à ceux qui sont parvenus au plus haut degré de sainteté, d'atteindre à la perfection de cette science morale; il reste toujours quelque chose d'inconnu [qui dépasse les plus nobles intelligences sur cette terre][6]Les personnes les plus ignorantes et les plus grossières de la multitude, hommes et femmes, peuvent pratiquer cette règle de conduite morale dans ce qu'elle a de plus général et de plus commun; mais il n'est donné à personne, pas même à ceux qui sont parvenus au plus haut degré de sainteté, d'atteindre à la perfection de cette règle de conduite morale; il y a encore quelque chose que l'on ne peut pratiquer.Le ciel et la terre sont grands sans doute; cependant l'homme trouve encore en eux des imperfections.C'est pourquoi le sage, en considérant ce que la règle de conduite morale de l'homme a de plus grand, dit que le monde ne peut la contenir; et, en considérant ce qu'elle a de plus petit, il dit que le monde ne peut la diviser.

3. Le Livre des Vers dit[7]:

«L'oiseau youan s'envole jusque dans les cieux, le poisson plonge jusque dans les abîmes. »

Ce qui veut dire que la règle de conduite morale de l'homme est la loi de toutes les intelligences; qu'elle illumine l'univers dans le plus haut des cieux comme dans les plus profonds abîmes!

4.La règle de conduite morale du sage a son principe dans le cœur de tous les hommes, d'où elle s'élève à sa plus haute manifestation pour éclairer le ciel et la terre de ses rayons éclatants!

Voilà le douzième chapitre. Il renferme les paroles de Tseu-sse, destinées à expliquer le sens de cette expression du premier chapitre, où il est dit que l'on ne peut s'écarter de la règle de conduite morale de l'homme. Dans les huit chapitres suivants, Tseu-sse cite sans ordre les paroles de KHOUNG-TSEU pour éclaircir le même sujet. (TCHOU-HI.)

[6] Glose

[7] Livre Ta-ya, ode Han-lou


CHAPITRE XIII.

1.Le Philosophe a dit: La voie droite ou la règle de conduite que l'on doit suivre n'est pas éloignée des hommes.Si les hommes se font une règle de conduite éloignée d'eux [c'est-à-dire, qui ne soit pas conforme à leur propre nature], elle ne doit pas être considérée comme une règle de conduite.

2. Le Livre des Vers dit[8]:

«L'artisan qui taille un manche de cognée sur un autre manche

N'a pas son modèle éloigné de lui.»

Prenant le manche modèle pour tailler l'autre manche, il le regarde de côté et d'autre, et, après avoir confectionné le nouveau manche, il les examine bien tous les deux pour voir s'ils diffèrent encore l'un de l'autre.De même le sage se sert de l'homme ou de l'humanité pour gouverner et diriger les hommes; une fois qu'il les a ramenés au bien, il s'arrête là[9]

3.Celui dont le cœur est droit, et qui porte aux autres les mêmes sentiments qu'il a pour lui-même, ne s'écarte pas de la loi morale du devoir prescrite aux hommes par leur nature rationnelle; il ne fait pas aux autres ce qu'il désire qui ne lui soit pas fait à lui-même.

4.La règle de conduite morale du sage lui impose quatre grandes obligations: moi, je n'en puis pas seulement remplir complétement une.Ce qui est exigé d'un fils, qu'il soit soumis à son père, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé d'un sujet, qu'il soit soumis à son prince, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé d'un frère cadet, qu'il soit soumis à son frère aîné, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé des amis, qu'ils donnent la préférence en tout à leurs amis, je ne puis pas l'observer encore.L'exercice de ces vertus constantes, éternelles; la circonspection dans les paroles de tous les jours; ne pas négliger de faire tous ses efforts pour parvenir à l'entier accomplissement de ses devoirs; ne pas se laisser aller à un débordement de paroles superflues; faire en sorte que les paroles répondent aux œuvres, et les œuvres aux paroles; en agissant de cette manière, comment le sage ne serait-il pas sincère et vrai?

Voilà le treizième chapitre.

[8] Livre Kouë-foung, ode Fa-ko

[9] Il ne lui impose pas une perfection contraire à sa nature.


CHAPITRE XIV.

1.L'homme sage qui s'est identifié avec la loi morale [en suivant constamment la ligne moyenne également éloignée des extrêmes] agit selon les devoirs de son état, sans rien désirer qui lui soit étranger.

2.Est-il riche, comblé d'honneurs, il agit comme doit agir un homme riche et comblé d'honneurs.Est-il pauvre et méprisé, il agit comme doit agir un homme pauvre et méprisé.Est-il étranger et d'une civilisation différente, il agit comme doit agir un homme étranger et de civilisation différente.Est-il malheureux, accablé d'infortunes, il agit comme doit agir un malheureux accablé d'infortunes.Le sage qui s'est identifié avec la loi morale conserve toujours assez d'empire sur lui-même pour accomplir les devoirs de son état dans quelque condition qu'il se trouve.

3.S'il est dans un rang supérieur, il ne tourmente pas ses inférieurs; s'il est dans un rang inférieur, il n'assiège pas de sollicitations basses et cupides ceux qui occupent un rang supérieur.Il se tient toujours dans la droiture, et ne demande rien aux hommes; alors la paix et la sérénité de son âme ne sont pas troublées.Il ne murmure pas contre le ciel, et il n'accuse pas les hommes de ses infortunes.

4.C'est pourquoi le sage conserve une âme toujours égale, en attendant l'accomplissement de la destinée céleste.L'homme qui est hors de la voie du devoir se jette dans mille entreprises téméraires pour chercher ce qu'il ne doit pas obtenir.

5.Le Philosophe a dit: L'archer peut être, sous un certain point de vue, comparé au sage: s'il s'écarte du but auquel il vise, il rentre en lui-même pour en chercher la cause.

Voilà le quatorzième chapitre.


CHAPITRE XV.

1.La voie morale du sage peut être comparée à la route du voyageur, qui doit commencer à lui pour s'éloigner ensuite; elle peut aussi être comparée au chemin de celui qui gravit un lieu élevé en partant du lieu bas où il se trouve.

2. Le Livre des Vers dit[10]:

«Une femme et des enfants qui aiment l'union et l'harmonie

Sont comme les accords produits par le Khin et le Che

Quand les frères vivent dans l'union et l'harmonie, la joie et le bonheur règnent parmi eux.Si le bon ordre est établi dans votre famille, votre femme et vos enfants seront heureux et satisfaits.»

3.Le Philosophe a dit: Quel contentement et quelle joie doivent éprouver un père et une mère à la tête d'une semblable famille!

Voilà le quinzième chapitre.

[10] Livre Siao-ya, ode Tchang-ti


CHAPITRE XVI.

1.Le Philosophe a dit: Que les facultés des puissances subtiles du ciel et de la terre sont vastes et profondes!

2.On cherche à les apercevoir, et on ne les voit pas; on cherche à les entendre, et on ne les entend pas; identifiées à la substance des choses, elles ne peuvent en être séparées.

3.Elles font que, dans tout l'univers, les hommes purifient et sanctifient leur cœur, se revêtent de leurs habits de fête pour offrir des sacrifices et des oblations à leurs ancêtres.C'est un océan d'intelligences subtiles!Elles sont partout au-dessus de nous, à notre gauche, à notre droite; elles nous environnent de toutes parts!

4. Le Livre des Vers dit[11]:

«L'arrivée des esprits subtils

Ne peut être déterminée;

A plus forte raison si on les néglige.»

5.Ces esprits cependant, quelque subtils et imperceptibles qu'ils soient, se manifestent dans les formes corporelles des êtres; leur essence étant une essence réelle, vraie, elle ne peut pas ne pas se manifester sous une forme quelconque.

Voilà le seizième chapitre. On ne peut ni voir ni entendre ces esprits subtils; c'est-à-dire qu'ils sont dérobés à nos regards par leur propre nature.Identifiés avec la substance des choses telles qu'elles existent, ils sont donc aussi d'un usage général.Dans les trois chapitres qui précèdent celui-ci, il est parlé de choses d'un usage restreint, particulier; dans les trois chapitres suivants, il est parlé de choses d'un usage général; dans ce chapitre-ci, il est parlé tout à la fois de choses d'un usage général, obscures et abstraites; il comprend le général et le particulier.(TCHOU-HI.)

[11] Livre Ta-ya, ode Y-tchi


CHAPITRE XVII.

1. Le Philosophe a dit: Qu'elle était grande la piété filiale de Chun! il fut un saint par sa vertu; sa dignité fut la dignité impériale; ses possessions s'étendaient aux quatre mers[12]; il offrit les sacrifices impériaux à ses ancêtres dans le temple qui leur était consacré; ses fils et ses petits-fils conservèrent ses honneurs dans une suite de siècles[13]

2.C'est ainsi que sa grande vertu fut, sans aucun doute, le principe qui lui fit obtenir sa dignité impériale, ses revenus publics, sa renommée, et la longue durée de sa vie.

3.C'est ainsi que le ciel, dans la production continuelle des êtres, leur donne sans aucun doute leurs développements selon leurs propres natures, ou leurs tendances naturelles; l'arbre debout, il le fait croître, le développe; l'arbre tombé, mort, il le dessèche, le réduit en poussière.

4. Le Livre des Vers dit[14]:

«Que le prince qui gouverne avec sagesse soit loué!

Sa brillante vertu resplendit de toutes parts;

Il traite comme ils le méritent les magistrats et le peuple;

Il tient ses biens et sa puissance du ciel;

Il maintient la paix, la tranquillité et l'abondance en distribuant [les richesses qu'il a reçues];

Et le ciel les lui rend de nouveau!»

5.Il est évident par là que la grande vertu des sages leur fait obtenir le mandat du ciel pour gouverner les hommes.

Voilà le dix-septième chapitre.Ce chapitre tire son origine de la persévérance dans la voie droite, de la constance dans les bonnes œuvres; il a été destiné à montrer au plus haut degré leur dernier résultat; il fait voir que les effets de la voie du devoir sont effectivement très-étendus, et que ce par quoi ils sont produits est d'une nature subtile et cachée.Les deux chapitres suivants présentent aussi de pareilles idées.(TCHOU-HI.)

[12] C'est-à-dire, aux douze provinces (Tcheou) dans lesquelles était alors compris l'empire chinois.(Glose.)

[13] Glose

[14] Livre Ta-ya, ode Kia-lo


CHAPITRE XVIII.

1. Le Philosophe a dit: Le seul d'entre les hommes qui n'ait pas éprouvé les chagrins de l'âme fut certainement Wen-wang. Il eut Wang-ki pour père, et Wou-wang fut son fils. Tout le bien que le père avait entrepris fut achevé par le fils.

2. Wou-wang continua les bonnes œuvres de Taï-wang, de Wang-ki et de Wen-wangIl ne revêtit qu'une fois ses habits de guerre, et tout l'empire fut à lui.Sa personne ne perdit jamais sa haute renommée dans tout l'empire; sa dignité fut celle de fils du Ciel [c'est-à-dire d'empereur]; ses possessions s'étendirent aux quatre mers.Il offrit les sacrifices impériaux à ses ancêtres dans le temple qui leur était consacré; ses fils et ses petits-fils conservèrent ses honneurs et sa puissance dans une suite de siècles.

3. Wou-wang était déjà très-avancé en âge lorsqu'il accepta le mandat du Ciel qui lui conférait l'empire. Tcheou-koung accomplit les intentions vertueuses de Wen-wang et de Wou-wang. Remontant à ses ancêtres, il éleva Taï-wang et Wang-ki au rang de roi, qu'ils n'avaient pas possédé, et il leur offrit les sacrifices selon le rite impérial. Ces rites furent étendus aux princes tributaires, aux grands de l'empire revêtus de dignités, jusqu'aux lettrés et aux hommes du peuple sans titres et dignités. Si le père avait été un grand de l'empire, et que le fils fût un lettré, celui-ci faisait des funérailles à son père selon l'usage des grands de l'empire, et il lui sacrifiait selon l'usage des lettrés; si son père avait été un lettré, et que le fils fût un grand de l'empire, celui-ci faisait des funérailles à son père selon l'usage des lettrés, et il lui sacrifiait selon l'usage des grands de l'empire. Le deuil d'une année s'étendait jusqu'aux grands; le deuil de trois années s'étendait jusqu'à l'empereur. Le deuil du père et de la mère devait être porté trois années sans distinction de rang: il était le même pour tous.

Voilà le dix-huitième chapitre.


CHAPITRE XIX.

1. Le Philosophe a dit: Oh! que la piété filiale de Wou-wang et de Tcheou-koung s'étendit au loin!

2.Cette même piété filiale sut heureusement suivre les intentions des anciens sages qui les avaient précédés, et transmettre à la postérité le récit de leurs grandes entreprises.

3. Au printemps, à l'automne, ces deux princes décoraient avec soin le temple de leurs ancêtres; ils disposaient soigneusement les vases et ustensiles anciens les plus précieux [au nombre desquels étaient le grand sabre à fourreau de pourpre, et la sphère céleste de Chun][15]; ils exposaient aux regards les robes et les différents vêtements des ancêtres, et ils leur offraient les mets de la saison.

4.Ces rites étant ceux de la salle des ancêtres, c'est pour cette raison que les assistants étaient soigneusement placés à gauche ou adroite, selon que l'exigeait leur dignité ou leur rang; les dignités et les rangs étaient observés: c'est pour cette raison que les hauts dignitaires étaient distingués du commun des assistants; les fonctions cérémoniales étaient attribuées à ceux qui méritaient de les remplir: c'est pour cette raison que l'on savait distinguer les sages des autres hommes; la foule s'étant retirée de la cérémonie, et la famille s'étant réunie dans le festin accoutumé, les jeunes gens servaient les plus âgés: c'est pour cette raison que la solennité atteignait les personnes les moins élevées en dignité.Pendant les festins, la couleur des cheveux était observée: c'est pour cette raison que les assistants étaient placés selon leur âge.

5. Ces princes, Wou-wang et Tcheou-koung, succédaient à la dignité de leurs ancêtres; ils pratiquaient leurs rites; ils exécutaient leur musique; ils respectaient ce qu'ils avaient respecté; ils chérissaient ce qu'ils avaient aimé; ils les servaient morts comme ils les auraient servis vivants; ils les honoraient ensevelis dans la tombe comme s'ils avaient encore été près d'eux: n'est-ce pas là le comble de la piété filiale?

6.Les rites du sacrifice au ciel et du sacrifice à la terre étaient ceux qu'ils employaient pour rendre leurs hommages au suprême Seigneur[16]; les rites du temple des ancêtres étaient ceux qu'ils employaient pour offrir des sacrifices à leurs prédécesseurs. Celui qui sera parfaitement instruit des rites du sacrifice au ciel et du sacrifice à la terre, et qui comprendra parfaitement le sens du grand sacrifice quinquennal nommé Ti, et du grand sacrifice automnal nommé Tchang, gouvernera aussi facilement le royaume que s'il regardait dans la paume de sa main.

Voilà le dix-neuvième chapitre.

[15] On peut voir la gravure de cette sphère, et la description des cérémonies indiquées ci-dessus, dans la Description de la Chine, par le traducteur, tom.1, p.89 et suiv.

[16] «Le ciel et la terre qui est au milieu. » (Glose.)


CHAPITRE XX.

1. Ngai-koung interrogea KHOUNG-TSEU sur les principes constitutifs d'un bon gouvernement.

2. Le Philosophe dit: Les lois gouvernementales des rois Wen et Wou sont consignées tout entières sur les tablettes de bambous. Si leurs ministres existaient encore, alors leurs lois administratives seraient en vigueur; leurs ministres ont cessé d'être, et leurs principes pour bien gouverner ne sont plus suivis.

3.Ce sont les vertus, les qualités réunies des ministres d'un prince qui font la bonne administration d'un État; comme la vertu fertile de la terre, réunissant le mou et le dur, produit et fait croître les plantes qui couvrent sa surface.Cette bonne administration dont vous me parlez ressemble aux roseaux qui bordent les fleuves; elle se produit naturellement sur un sol convenable.

4.Ainsi la bonne administration d'un État dépend des ministres qui lui sont préposés.Un prince qui veut imiter la bonne administration des anciens rois doit choisir ses ministres d'après ses propres sentiments, toujours inspirés par le bien public; pour que ses sentiments aient toujours le bien public pour mobile, il doit se conformer à la grande loi du devoir; et cette grande loi du devoir doit être cherchée dans l'humanité, cette belle vertu du cœur, qui est le principe de l'amour pour tous les hommes.

5.Cette humanité, c'est l'homme lui-même; l'amitié pour les parents en est le premier devoir.La justice, c'est l'équité; c'est rendre à chacun ce qui lui convient: honorer les hommes sages en forme le premier devoir.L'art de savoir distinguer ce que l'on doit aux parents de différents degrés, celui de savoir comment honorer les sages selon leurs mérites, ne s'apprennent que par les rites ou principes de conduite inspirés par le ciel[17]

6.C'est pourquoi le prince ne peut pas se dispenser de corriger et perfectionner sa personne.Dans l'intention de corriger et perfectionner sa personne, il ne peut pas se dispenser de rendre à ses parents ce qui leur est dû.Dans l'intention de rendre à ses parents ce qui leur est dû, il ne peut pas se dispenser de connaître les hommes sages pour les honorer et pour qu'ils puissent l'instruire de ses devoirs.Dans l'intention de connaître les homme sages, il ne peut pas se dispenser de connaître le ciel, ou la loi qui dirige dans la pratique des devoirs prescrits.

7.Les devoirs les plus universels pour le genre humain sont au nombre de cinq, et l'homme possède trois facultés naturelles pour les pratiquer.Les cinq devoirs sont: les relations qui doivent exister entre le prince et ses ministres, le père et ses enfants, le mari et la femme, les frères aînés et les frères cadets, et l'union des amis entre eux; lesquelles cinq relations constituent la loi naturelle du devoir la plus universelle pour les hommes.La conscience, qui est la lumière de l'intelligence pour distinguer le bien et le mal; l'humanité, qui est l'équité du cœur; le courage moral, qui est la force d'âme, sont les trois grandes et universelles facultés morales de l'homme; mais ce dont on doit se servir pour pratiquer les cinq grands devoirs se réduit à une seule et unique condition.

8.Soit qu'il suffise de naître pour connaître ces devoirs universels, soit que l'étude ait été nécessaire pour les apprendre, soit que leur connaissance ait exigé de grandes peines, lorsqu'on est parvenu à cette connaissance, le résultat est le même; soit que l'on pratique naturellement et sans efforts ces devoirs universels, soit qu'on les pratique dans le but d'en retirer des profits ou des avantages personnels, soit qu'on les pratique difficilement et avec efforts, lorsqu'on est parvenu à l'accomplissement des œuvres méritoires, le résultat est le même.

9.Le Philosophe a dit: Celui qui aime l'étude, ou l'application de son intelligence à la recherche de la loi du devoir, est bien près de la science morale; celui qui fait tous ses efforts pour pratiquer ses devoirs est bien près de ce dévoûment au bonheur des hommes que l'on appelle humanité; celui qui sait rougir de sa faiblesse dans la pratique de ses devoirs est bien près de la force d'âme nécessaire pour leur accomplissement.

10.Celui qui sait ces trois choses connaît alors les moyens qu'il faut employer pour bien régler sa personne, ou se perfectionner soi-même; connaissant les moyens qu'il faut employer pour régler sa personne, il connaît alors les moyens qu'il faut employer pour faire pratiquer la vertu aux autres hommes; connaissant les moyens qu'il faut employer pour faire pratiquer la vertu aux autres hommes, il connaît alors les moyens qu'il faut employer pour bien gouverner les empires et les royaumes.

11.Tous ceux qui gouvernent les empires et les royaumes ont neuf règles invariables à suivre, à savoir: se régler ou se perfectionner soi-même, révérer les sages, aimer ses parents, honorer les premiers fonctionnaires de l'État ou les ministres, être en parfaite harmonie avec tous les autres fonctionnaires et magistrats, traiter et chérir le peuple comme un fils, attirer près de soi tous les savants et les artistes, accueillir agréablement les hommes qui viennent de loin, les étrangers[18], et traiter avec amitié tous les grands vassaux.

12.Dès l'instant que le prince aura bien réglé et amélioré sa personne, aussitôt les devoirs universels seront accomplis envers lui-même; dès l'instant qu'il aura révéré les sages, aussitôt il n'aura plus de doute sur les principes du vrai et du faux, du bien et du mal; dès l'instant que ses parents seront l'objet des affections qui leur sont dues, aussitôt il n'y aura plus de dissensions entre ses oncles, ses frères aînés et ses frères cadets; dès l'instant qu'il honorera convenablement les fonctionnaires supérieurs ou ministres, aussitôt il verra les affaires d'État en bon ordre; dès l'instant qu'il traitera comme il convient les fonctionnaires et magistrats secondaires, aussitôt les docteurs, les lettrés s'acquitteront avec zèle de leurs devoirs dans les cérémonies; dès l'instant qu'il aimera et traitera le peuple comme un fils, aussitôt ce même peuple sera porté à imiter son supérieur; dès l'instant qu'il aura attiré près de lui tous les savants et les artistes, aussitôt ses richesses seront suffisamment mises en usage; dès l'instant qu'il accueillera agréablement les hommes qui viennent de loin, aussitôt les hommes des quatre extrémités de l'empire accourront en foule dans ses États pour prendre part à ses bienfaits; dès l'instant qu'il traitera avec amitié ses grands vassaux, aussitôt il sera respecté dans tout l'empire.

13.Se purifier de toutes souillures, avoir toujours un extérieur propre et décent et des vêtements distingués; ne se permettre aucun mouvement, aucune action contrairement aux rites prescrits[19]: voilà les moyens qu'il faut employer pour bien régler sa personne; repousser loin de soi les flatteurs, fuir les séductions de la beauté, mépriser les richesses, estimer à un haut prix la vertu et les hommes qui la pratiquent: voilà les moyens qu'il faut employer pour donner de l'émulation aux sages; honorer la dignité de ses parents, augmenter leurs revenus, aimer et éviter ce qu'ils aiment et évitent: voilà les moyens qu'il faut employer pour faire naître l'amitié entre les parents; créer assez de fonctionnaires inférieurs pour exécuter les ordres des supérieurs: voilà le moyen qu'il faut employer pour exciter le zèle et l'émulation des ministres; augmenter les appointements des hommes pleins de fidélité et de probité: voilà le moyen d'exciter le zèle et l'émulation des autres fonctionnaires publics; n'exiger de services du peuple que dans les temps convenables, diminuer les impôts: voilà les moyens d'exciter le zèle et l'émulation des familles; examiner chaque jour si la conduite des hommes que l'on emploie est régulière, et voir tous les mois si leurs travaux répondent à leurs salaires: voilà les moyens d'exciter le zèle et l'émulation des artistes et des artisans; reconduire les étrangers quand ils s'en vont, aller au-devant de ceux qui arrivent pour les bien recevoir, faire l'éloge de ceux qui ont de belles qualités et de beaux talents, avoir compassion de ceux qui en manquent: voilà les moyens de bien recevoir les étrangers; prolonger la postérité des grands feudataires sans enfants, les réintégrer dans leurs principautés perdues, rétablir le bon ordre dans les États troublés par les séditions, les secourir dans les dangers, faire venir à sa cour les grands vassaux, et leur ordonner de faire apporter par les gouverneurs de province les présents d'usage aux époques fixées; traiter grandement ceux qui s'en vont, et généreusement ceux qui arrivent, en n'exigeant d'eux que de légers tributs: voilà les moyens de se faire aimer des grands vassaux.

14.Tous ceux qui gouvernent les empires ont ces neuf règles invariables à suivre; les moyens à employer pour les pratiquer se réduisent à un seul.

15.Toutes les actions vertueuses, tous les devoirs qui ont été résolus d'avance, sont par cela même accomplis; s'ils ne sont pas résolus d'avance, ils sont par cela même dans un état d'infraction.Si l'on a déterminé d'avance les paroles que l'on doit prononcer, on n'éprouve par cela même aucune hésitation.Si l'on a déterminé d'avance ses affaires, ses occupations dans le monde, par cela même elles s'accomplissent facilement.Si l'on a déterminé d'avance sa conduite morale dans la vie, on n'éprouvera point de peines de lame.Si l'on a déterminé d'avance la loi du devoir, elle ne faillira jamais.

16. Si celui qui est dans un rang inférieur n'obtient pas la confiance de son supérieur, le peuple ne peut pas être bien administré; il y a un principe certain dans la détermination de ce rapport: Celui qui n'est pas sincère et fidèle avec ses amis n'obtiendra pas la confiance de ses supérieurs. Il y a un principe certain pour déterminer les rapports de sincérité et de fidélité avec les amis: Celui qui n'est pas soumis envers ses parents n'est pas sincère et fidèle avec ses amis. Il y a un principe certain pour déterminer les rapports d'obéissance envers les parents: Si en faisant un retour sur soi-même on ne se trouve pas entièrement dépouillé de tout mensonge, de tout ce qui n'est pas la vérité; si l'on ne se trouve pas parfait enfin, on ne remplit pas complètement ses devoirs d'obéissance envers ses parents. Il y a un principe certain pour reconnaître l'état de perfection: Celui qui ne sait pas distinguer le bien du mal, le vrai du faux; qui ne sait pas reconnaître dans l'homme le mandat du ciel, n'est pas encore arrivé à la perfection.

17. Le parfait, le vrai, dégagé de tout mélange, est la loi du ciel; la perfection ou le perfectionnement, qui consiste à employer tous ses efforts pour découvrir la loi céleste, le vrai principe du mandat du ciel, est la loi de l'homme. L'homme parfait [ching-tche] atteint cette loi sans aucun secours étranger; il n'a pas besoin de méditer, de réfléchir longtemps pour l'obtenir; il parvient à elle avec calme et tranquillité; c'est là le saint homme [ching-jin].Celui qui tend constamment à son perfectionnement est le sage qui sait distinguer le bien du mal, qui choisit le bien et s'y attache fortement pour ne jamais le perdre.

18.Il doit beaucoup étudier pour apprendre tout ce qui est bien; il doit interroger avec discernement, pour chercher à s'éclairer dans tout ce qui est bien; il doit veiller soigneusement sur tout ce qui est bien, de crainte de le perdre, et le méditer dans son âme; il doit s'efforcer toujours de connaître tout ce qui est bien, et avoir grand soin de le distinguer de tout ce qui est mal; il doit ensuite fermement et constamment pratiquer ce bien.

19.S'il y a des personnes qui n'étudient pas, ou qui, si elles étudient, ne profitent pas, qu'elles ne se découragent point, ne s'arrêtent point; s'il y a des personnes qui n'interrogent pas les hommes instruits, pour s'éclairer sur les choses douteuses ou qu'elles ignorent, ou si, en les interrogeant, elles ne peuvent devenir plus instruites, qu'elles ne se découragent point; s'il y a des personnes qui ne méditent pas, ou qui, si elles méditent, ne parviennent pas à acquérir une connaissance claire du principe du bien, qu'elles ne se découragent point; s'il y a des personnes qui ne distinguent pas le bien du mal, ou qui, si elles le distinguent, n'en ont pas cependant une perception claire et nette, qu'elles ne se découragent point; s'il y a des personnes qui ne pratiquent pas le bien, ou qui, si elles le pratiquent, ne peuvent y employer toutes leurs forces, qu'elles ne se découragent point: ce que d'autres feraient en une fois, elles le feront en dix; ce que d'autres feraient en cent, elles le feront en mille.

20.Celui qui suivra véritablement cette règle de persévérance, quelque ignorant qu'il soit, il deviendra nécessairement éclairé; quelque faible qu'il soit, il deviendra nécessairement fort.

Voilà le vingtième chapitre. Il contient les paroles de KHOUNG-TSEU, destinées à offrir les exemples de vertu du grand Chun, de Wen-wang, de Wou-wang et de Tcheou-koung, pour les continuer. Tseu-sse, dans ce chapitre, éclaircit ce qu'ils ont transmis par la tradition; il le rapporte et le met en ordre. Il fait même plus, car il embrasse les devoirs d'un usage général, ainsi que les devoirs moins accessibles des hommes qui tendent à la perfection, en même temps que ceux qui concernent les petits et les grands, afin de compléter le sens du douzième chapitre. Dans le chapitre précédent, il est parlé de la perfection, et le philosophe expose ce qu'il entend par ce terme; ce qu'il appelle le parfait est véritablement le nœud central et fondamental de ce livre. (TCHOU-HI.)

[17] Il y a ici dans l'édition de TCHOU-HI un paragraphe qui se trouve plus loin, et que la plupart des autres éditeurs chinois ont supprimé, parce qu'il n'a aucun rapport avec ce qui précède et ce qui suit, et qu'il parait la déplacé et faire un double emploi. Nous l'avons aussi supprimé en cet endroit.

[18] La Glose dit que ce sont les marchands étrangers (chang), les commerçants (kou), les hôtes ou visiteurs (pin), et les étrangers au pays (liu).

[19] «Regarder, écouter, parler, se mouvoir, sortir, entrer, se lever, s'asseoir, sont des mouvements qui doivent être conformes aux rites. » (Glose.)


CHAPITRE XXI.

1.La haute lumière de l'intelligence qui naît de la perfection morale, ou de la vérité sans mélange, s'appelle vertu naturelle ou sainteté primitive.La perfection morale qui naît de la haute lumière de l'intelligence s'appelle instruction ou sainteté acquise.La perfection morale suppose la haute lumière de l'intelligence; la haute lumière de l'intelligence suppose la perfection morale.

Voilà le vingt et unième chapitre, par lequel Tseu-sse a lié le sens du chapitre précédent à celui des chapitres suivants, dans lesquels il expose la doctrine de son maître KHOUNG-TSEU, concernant la loi du ciel et la loi de l'homme. Les onze chapitres qui suivent renferment les paroles de Tseu-sse, destinées à éclaircir et à développer le sens de celui-ci.


CHAPITRE XXII.

1.Il n'y a dans le monde que les hommes souverainement parfaits qui puissent connaître à fond leur propre nature, la loi de leur être, et les devoirs qui en dérivent; pouvant connaître à fond leur propre nature et les devoirs qui en dérivent, ils peuvent par cela même connaître à fond la nature des autres hommes, la loi de leur être, et leur enseigner tous les devoirs qu'ils ont à observer pour accomplir le mandat du ciel; pouvant connaître à fond la nature des autres hommes, la loi de leur être, et leur enseigner les devoirs qu'ils ont à observer pour accomplir le mandat du ciel, ils peuvent par cela même connaître à fond la nature des autres êtres vivants et végétants, et leur faire accomplir leur loi de vitalité selon leur propre nature; pouvant connaître à fond la nature des êtres vivants et végétants, et leur faire accomplir leur loi de vitalité selon leur propre nature, ils peuvent par cela même, au moyen de leurs facultés intelligentes supérieures, aider le ciel et la terre dans les transformations et l'entretien des êtres, pour qu'ils prennent leur complet développement; pouvant aider le ciel et la terre dans les transformations et l'entretien des êtres, ils peuvent par cela même constituer un troisième pouvoir avec le ciel et la terre.

Voilà le vingt-deuxième chapitre.Il y est parlé de la loi du ciel.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE XXIII.

1.Ceux qui viennent immédiatement après ces hommes souverainement parfaits par leur propre nature sont ceux qui font tous leurs efforts pour rectifier leurs penchants détournés du bien; ces penchants détournés du bien peuvent revenir à l'état de perfection; étant arrivés à l'état de perfection, alors ils produisent des effets extérieurs visibles; ces effets extérieurs visibles étant produits, alors ils se manifestent; étant manifestés, alors ils jetteront un grand éclat; ayant jeté un grand éclat, alors ils émouvront les cœurs; ayant ému les cœurs, alors ils opéreront de nombreuses conversions; ayant opéré de nombreuses conversions, alors ils effaceront jusqu'aux dernières traces du vice: il n'y a dans le monde que les hommes souverainement parfaits qui puissent être capables d'effacer ainsi les dernières traces du vice dans le cœur des hommes.

Voilà le vingt-troisième chapitre.Il y est parlé de la loi de l'homme.


CHAPITRE XXIV

1. Les facultés de l'homme souverainement parfait sont si puissantes, qu'il peut, par leur moyen, prévoir les choses à venir. L'élévation des familles royales s'annonce assurément par d'heureux présages; la chute des dynasties s'annonce assurément aussi par de funestes présages; ces présages heureux ou funestes se manifestent dans la grande herbe nommée chi, sur le dos de la tortue, et excitent en elle de tels mouvements, qu'ils font frissonner ses quatre membres.Quand des événements heureux ou malheureux sont prochains, l'homme souverainement parfait prévoit avec certitude s'ils seront heureux; il prévoit également avec certitude s'ils seront malheureux; c'est pourquoi l'homme souverainement parfait ressemble aux intelligences surnaturelles.

Voilà le vingt-quatrième chapitre.Il y est parlé de la loi du ciel.


CHAPITRE XXV.

1. Le parfait est par lui-même parfait absolu; la loi du devoir est par elle-même loi de devoir.

2. Le parfait est le commencement et la fin de tous les êtres; sans le parfait ou la perfection, les êtres ne seraient pas. C'est pourquoi le sage estime cette perfection au-dessus de tout.

3.L'homme parfait ne se borne pas à se perfectionner lui-même et s'arrêter ensuite; c'est pour cette raison qu'il s'attache à perfectionner aussi les autres êtres.Se perfectionner soi-même est sans doute une vertu; perfectionner les autres êtres est une haute science; ces deux perfectionnements sont des vertus de la nature ou de la faculté rationnelle pure.Réunir le perfectionnement extérieur et le perfectionnement intérieur constitue la règle du devoir.C'est ainsi que l'on agit convenablement selon les circonstances.

Voilà le vingt-cinquième chapitre.Il y est parlé de la loi de l'homme.


CHAPITRE XXVI.

1.C'est pour cela que l'homme souverainement parfait ne cesse jamais d'opérer le bien, ou de travailler au perfectionnement des autres hommes.

2.Ne cessant jamais de travailler au perfectionnement des autres hommes, alors il persévère toujours dans ses bonnes actions; persévérant toujours dans ses bonnes actions, alors tous les êtres portent témoignage de lui.

3.Tous les êtres portant témoignage de lui, alors l'influence de la vertu s'agrandit et s'étend au loin; étant agrandie et étendue au loin, alors elle est vaste et profonde; étant vaste et profonde, alors elle est haute et resplendissante.

4.La vertu de l'homme souverainement parfait est vaste et profonde: c'est pour cela qu'il a en lui la faculté de contribuer à l'entretien et au développement des êtres; elle est haute et resplendissante: c'est pour cela qu'il a en lui la faculté de les éclairer de sa lumière; elle est grande et persévérante: c'est pour cela qu'il a en lui la faculté de contribuer à leur perfectionnement, et de s'identifier par ses œuvres avec le ciel et la terre.

5.Les hommes souverainement parfaits, par la grandeur et la profondeur de leur vertu, s'assimilent avec la terre; par sa hauteur et son éclat, ils s'assimilent avec le ciel; par son étendue et sa durée, ils s'assimilent avec l'espace et le temps sans limite.

6.Celui qui est dans cette haute condition de sainteté parfaite ne se montre point, et cependant, comme la terre, il se révèle par ses bienfaits; il ne se déplace point, et cependant, comme le ciel, il opère de nombreuses transformations; il n'agit point, et cependant, comme l'espace et le temps, il arrive au perfectionnement de ses œuvres.

7.La puissance ou la loi productive du ciel et de la terre peut être exprimée par un seul mot; son action dans l'un et l'autre n'est pas double: c'est la perfection; mais alors sa production des êtres est incompréhensible.

8.La raison d'être, ou la loi du ciel et de la terre, est vaste en effet; elle est profonde!elle est sublime!elle est éclatante!elle est immense!elle est éternelle!

9.Si nous portons un instant nos regards vers le ciel, nous n'apercevons d'abord qu'un petit espace scintillant de lumière; mais si nous pouvions nous élever jusqu'à cet espace lumineux, nous trouverions qu'il est d'une immensité sans limites; le soleil, la lune, les étoiles, les planètes, y sont suspendus comme à un fil; tous les êtres de l'univers en sont couverts comme d'un dais.Maintenant, si nous jetons un regard sur la terre, nous croirons d'abord que nous pouvons la tenir dans la main; mais, si nous la parcourons, nous la trouverons étendue, profonde; soutenant la haute montagne fleurie[20] sans fléchir sous son poids; enveloppant les fleuves et les mers dans son sein, sans en être inondée, et contenant tous les êtres. Cette montagne ne nous semble qu'un petit fragment de rocher; mais, si nous explorons son étendue, nous la trouverons vaste et élevée; les plantes et les arbres croissant à sa surface, des oiseaux et des quadrupèdes y faisant leur demeure, et renfermant elle-même dans son sein des trésors inexploités. Et cette eau que nous apercevons de loin nous semble pouvoir à peine remplir une coupe légère; mais, si nous parvenons à sa surface, nous ne pouvons en sonder la profondeur; des énormes tortues, des crocodiles, des hydres, des dragons, des poissons de toute espèce, vivent dans son sein; des richesses précieuses y prennent naissance.

10. Le Livre des Vers dit[21]:

«Il n'y a que le mandat du ciel

Dont l'action éloignée ne cesse jamais.»

Voulant dire par là que c'est cette action incessante qui le fait le mandat du ciel.

«Oh!comment n'aurait-elle pas été éclatante,

La pureté de la vertu de Wou-wang?»

Voulant dire aussi par là que c'est par cette même pureté de vertu qu'il fut Wou-wang, car elle ne s'éclipsa jamais.

Voilà le vingt-sixième chapitre.Il y est parlé de la loi du ciel.

[20] Montagne de la province du Chen-si

[21] Livre Tcheou-soung, ode Weï-thian-tchi-ming


CHAPITRE XXVII.

1.Oh!que la loi du devoir de l'homme saint est grande!

2.C'est un océan sans rivages!elle produit et entretient tous les êtres; elle touche au ciel par sa hauteur.

3.Oh!qu'elle est abondante et vaste!elle embrasse trois cents rites du premier ordre et trois mille du second.

4.Il faut attendre l'homme capable de suivre une telle loi, pour qu'elle soit ensuite pratiquée.

5.C'est pour cela qu'il est dit: «Si l'on ne possède pas la suprême vertu des saints hommes, la suprême loi du devoir ne sera pas complètement pratiquée.»

6.C'est pour cela aussi que le sage, identifié avec la loi du devoir, cultive avec respect sa nature vertueuse, cette raison droite qu'il a reçue du ciel, et qu'il s'attache à rechercher et à étudier attentivement ce qu'elle lui prescrit.Dans ce but, il pénètre jusqu'aux dernières limites de sa profondeur et de son étendue, pour saisir ses préceptes les plus subtils et les plus inaccessibles aux intelligences vulgaires.Il développe au plus haut degré les hautes et pures facultés de son intelligence, et il se fait une loi de suivre toujours les principes de la droite raison.Il se conforme aux lois déjà reconnues et pratiquées anciennement de la nature vertueuse de l'homme, et il cherche à en connaître de nouvelles, non encore déterminées; il s'attache avec force à tout ce qui est honnête et juste, afin de réunir en lui la pratique des rites, qui sont l'expression de la loi céleste.

7.C'est pour cela que s'il est revêtu de la dignité souveraine, il n'est point rempli d'un vain orgueil; s'il se trouve dans lune des conditions inférieures, il ne se constitue point en état de révolte.Que l'administration du royaume soit équitable, sa parole suffira pour l'élever à la dignité qu'il mérite; qu'au contraire le royaume soit mal gouverné, qu'il y règne des troubles et des séditions, son silence suffira pour sauver sa personne.

Le Livre des Vers dit[22]:

«Parce qu'il fut intelligent et prudent observateur des événements,

C'est pour cela qu'il conserva sa personne.»

Cela s'accorde avec ce qui est dit précédemment.

Voilà le vingt-septième chapitre.Il y est parlé de la loi de l'homme.

[22] Livre Ta-ya, ode Tching-ming


CHAPITRE XXVIII.

1.Le Philosophe a dit: L'homme ignorant et sans vertu, qui aime à ne se servir que de son propre jugement; l'homme sans fonctions publiques, qui aime à s'arroger un pouvoir qui ne lui appartient pas; l'homme né dans le siècle et soumis aux lois de ce siècle, qui retourne à la pratique des lois anciennes, tombées en désuétude ou abolies, et tous ceux qui agissent d'une semblable manière, doivent s'attendre à éprouver de grands maux.

2.Excepté le fils du Ciel, ou celui qui a reçu originairement un mandat pour être le chef de l'empire[23], personne n'a le droit d'établir de nouvelles cérémonies, personne n'a le droit de fixer de nouvelles lois somptuaires, personne n'a le droit de changer ou de corriger la forme des caractères de l'écriture en vigueur.

3.Les chars de l'empire actuel suivent les mêmes ornières que ceux des temps passés; les livres sont écrits avec les mêmes caractères, et les mœurs sont les mêmes qu'autrefois.

4.Quand même il posséderait la dignité impériale des anciens souverains, s'il n'a pas leurs vertus, personne ne doit oser établir de nouvelles cérémonies et une nouvelle musique.Quand même il posséderait leurs vertus, s'il n'est pas revêtu de leur dignité impériale, personne ne doit également oser établir de nouvelles cérémonies et une nouvelle musique.

5. Le Philosophe a dit: J'aime à me reporter aux usages et coutumes de la dynastie des Hia; mais le petit État de Khi, où cette dynastie s'est éteinte, ne les a pas suffisamment conservés. J'ai étudié les usages et coutumes de la dynastie de Yin [ou Chang]; ils sont encore en vigueur dans l'État de Soûng. J'ai étudié les usages et coutumes de la dynastie des Tcheou; et comme ce sont celles qui sont aujourd'hui en vigueur, je dois aussi les suivre.

Voilà le vingt-huitième chapitre.Il se rattache au chapitre précédent, et il n'y a rien de contraire au suivant.Il y est aussi question de la loi de l'homme.(TCHOU-HI.)

[23] C'est ainsi que s'exprime la Glose


CHAPITRE XXIX.

1. Il y a trois affaires que l'on doit regarder comme de la plus haute importance dans le gouvernement d'un empire: l'établissement des rites ou cérémonies, la fixation des lois somptuaires, et l'altération dans la forme des caractères de récriture; et ceux qui s'y conforment commettent peu de fautes.

2.Les lois, les règles d'administration des anciens temps, quoique excellentes, n'ont pas une autorité suffisante, parce que l'éloignement des temps ne permet pas d'établir convenablement leur authenticité; manquant d'authenticité, elles ne peuvent obtenir la confiance du peuple; le peuple ne pouvant accorder une confiance suffisante aux hommes qui les ont écrites, il ne les observe pas.Celles qui sont proposées par des sages non revêtus de la dignité impériale, quoique excellentes, n'obtiennent pas le respect nécessaire; n'obtenant pas le respect qui est nécessaire à leur sanction, elles n'obtiennent pas également la confiance du peuple; n'obtenant pas la confiance du peuple, le peuple ne les observe pas.

3.C'est pourquoi la loi du devoir d'un prince sage, dans l'établissement des lois les plus importantes, a sa base fondamentale en lui-même; l'autorité de sa vertu et de sa haute dignité s'impose à tout le peuple; il conforme son administration à celle des fondateurs des trois premières dynasties, et il ne se trompe point; il établit ses lois selon celles du ciel et de la terre, et elles n'éprouvent aucune opposition; il cherche la preuve de la vérité dans les esprits et les intelligences supérieures, et il est dégagé de nos doutes; il est cent générations à attendre le saint homme, et il n'est pas sujet à nos erreurs.

4. Il cherche la preuve de la vérité dans les esprits et les intelligences supérieures, et par conséquent il connaît profondément la loi du mandat céleste. Il est cent générations à attendre le saint homme, et il n'est pas sujet à nos erreurs; par conséquent il connait profondément les principes de la nature humaine.

5.C'est pourquoi le prince sage n'a qu'à agir, et pendant des siècles ses actions sont la loi de l'empire; il n'a qu'à parler, et pendant des siècles ses paroles sont la règle de l'empire.Les peuples éloignés ont alors espérance en lui; ceux qui l'avoisinent ne s'en fatigueront jamais.

6. Le Livre des Vers dit[24]:

«Dans ceux-là il n'y a pas de haine.

Dans ceux-ci il n'y a point de satiété.

Oh!oui, matin et soir

Il sera à jamais l'objet d'éternelles louanges!»

Il n'y a jamais eu de sages princes qui n'aient été tels après avoir obtenu une pareille renommée dans le monde.

Voila le vingt-neuvième chapitre. Il se rattache à ces paroles du chapitre précédent: Placé dans le rang supérieur [ou revêtu de la dignité impériale], il n'est point rempli d'orgueilIl y est aussi parlé de la loi de l'homme.

[24] Livre Tcheou-soung, ode Tching-lou


CHAPITRE XXX.

1. Le philosophe KHOUNG-TSEU rappelait avec vénération les temps des anciens empereurs Yao et Chun; mais il se réglait principalement sur la conduite des souverains plus récents Wen et WouPrenant pour exemple de ses actions les lois naturelles et immuables qui régissent les corps célestes au-dessus de nos têtes, il imitait la succession régulière des saisons qui s'opère dans le ciel; à nos pieds, il se conformait aux lois de la terre et de l'eau fixes ou mobiles.

2.On peut le comparer au ciel et à la terre, qui contiennent et alimentent tout, qui couvrent et enveloppent tout; on peut le comparer aux quatre saisons, qui se succèdent continuellement sans interruption; on peut le comparer au soleil et à la lune, qui éclairent alternativement le monde.

3.Tous les êtres de la nature vivent ensemble de la vie universelle, et ne se nuisent pas les uns aux autres; toutes les lois qui règlent les saisons et les corps célestes s'accomplissent en même temps sans se contrarier entre elles.L'une des facultés partielles de la nature est de faire couler un ruisseau; mais ses grandes énergies, ses grandes et souveraines facultés produisent et transforment tous les êtres.Voilà en effet ce qui rend grands le ciel et la terre!

Voilà le trentième chapitre.Il traite de la loi du ciel.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE XXXI

1.Il n'y a dans l'univers que l'homme souverainement saint qui, par la faculté de connaître à fond et de comprendre parfaitement les lois primitives des êtres vivants, soit digne de posséder l'autorité souveraine et de commander aux hommes; qui, par sa faculté d'avoir une âme grande, magnanime, affable et douce, soit capable de posséder le pouvoir de répandre des bienfaits avec profusion; qui, par sa faculté d'avoir une âme élevée, ferme, imperturbable et constante, soit capable de faire régner la justice et l'équité; qui, par sa faculté d'être toujours honnête, simple, grave, droit et juste, soit capable de s'attirer le respect et la vénération; qui, par sa faculté d'être revêtu des ornements de l'esprit, et des talents que procure une étude assidue, et de ces lumières que donne une exacte investigation des choses les plus cachées, des principes les plus subtils, soit capable de discerner avec exactitude le vrai du faux, le bien du mal.

2.Ses facultés sont si amples, si vastes, si profondes, que c'est comme une source immense d'où tout sort en son temps.

3.Elles sont vastes et étendues comme le ciel; la source cachée d'où elles découlent est profonde comme l'abîme.Que cet homme souverainement saint apparaisse avec ses vertus, ses facultés puissantes, et les peuples ne manqueront pas de lui témoigner leur vénération; qu'il parle, et les peuples ne manqueront pas d'avoir foi en ses paroles; qu'il agisse, et les peuples ne manqueront pas d'être dans la joie.

4. C'est ainsi que la renommée de ses vertus est un océan qui inonde l'empire de toutes parts; elle s'étend même jusqu'aux barbares des régions méridionales et septentrionales; partout où les vaisseaux et les chars peuvent aborder, où les forces de l'industrie humaine peuvent faire pénétrer, dans tous les lieux que le ciel couvre de son dais immense, sur tous les points que la terre enserre, que le soleil et la lune éclairent de leurs rayons, que la rosée et les nuages du matin fertilisent; tous les êtres humains qui vivent et qui respirent ne peuvent manquer de l'aimer et de le révérer. C'est pourquoi il est dit: Que ses facultés, ses vertus puissantes l'égalent au ciel

Voilà le trente et unième chapitre.Il se rattache au chapitre précédent; il y est parlé des énergies ou facultés partielles de la nature dans la production des êtres.Il y est aussi question de la loi du ciel.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE XXXII.

1.Il n'y a dans l'univers que l'homme souverainement parfait par la pureté de son âme qui soit capable de distinguer et de fixer les devoirs des cinq grandes relations qui existent dans l'empire entre les hommes; d'établir sur des principes fixes et conformes à la nature des êtres la grande base fondamentale des actions et des opérations qui s'exécutent dans le monde; de connaître parfaitement les créations et les annihilations du ciel et de la terre.Un tel homme souverainement parfait a en lui-même le principe de ses actions.

2.Sa bienveillance envers tous les hommes est extrêmement vaste; ses facultés intimes sont extrêmement profondes; ses connaissances des choses célestes sont extrêmement étendues.

3.Mais, à moins d'être véritablement très-éclairé, profondément intelligent, saint par ses œuvres, instruit des lois divines, et pénétré des quatre grandes vertus célestes [l'humanité, la justice, la bienséance et la science des devoirs], comment pourrait-on connaître ses mérites?

Voilà le trente-deuxième chapitre.Il se rattache au chapitre précédent, et il y est parlé des grandes énergies ou facultés de la nature dans la production des êtres; il y est aussi question de la loi du ciel.Dans le chapitre qui précède celui-ci, il est parlé des vertus de l'homme souverainement saint; dans celui-ci, il est parlé de la loi de l'homme souverainement parfait.Ainsi la loi de l'homme souverainement parfait ne peut être connue que par l'homme souverainement saint; la vertu de l'homme souverainement saint ne peut être pratiquée que par l'homme souverainement parfait; alors ce ne sont pas effectivement deux choses différentes.Dans ce livre, il est parlé du saint homme comme ayant atteint le point le plus extrême de la loi céleste; arrivé là, il est impossible d'y rien ajouter.(TCHOU-HI.)


CHAPITRE XXXIII.

1. Le Livre des Vers dit[25]:

«Elle couvrait sa robe brodée d'or d'un surtout grossier.»

Elle haïssait le faste et la pompe de ses ornements.C'est ainsi que les actions vertueuses du sage se dérobent aux regards, et cependant se révèlent de plus en plus chaque jour, tandis que les actions vertueuses de l'homme inférieur se produisent avec ostentation et s'évanouissent chaque jour.La conduite du sage est sans saveur comme l'eau, mais cependant elle n'est point fastidieuse; elle est retirée, mais cependant elle est belle et grave; elle paraît confuse et désordonnée, mais cependant elle est régulière.Le sage connaît les choses éloignées, c'est-à-dire le monde, les empires et les hommes, par les choses qui le touchent, par sa propre personne; il connaît les passions des autres par les siennes propres, par les mouvements de son cœur; il connaît les plus secrets mouvements de son cœur par ceux qui se révèlent dans les autres.C'est ainsi qu'il peut entrer dans le chemin de la vertu.

2. Le Livre des Vers dit[26]:

«Quoique le poisson en plongeant se cache dans l'eau,

Cependant la transparence de l'onde le trahit, et on peut le voir tout entier.»

C'est ainsi que le sage en s'examinant intérieurement ne trouve rien dans son cœur qu'il ait à se reprocher et dont il ait à rougir.Ce que le sage ne peut trouver en lui, n'est-ce pas ce que les autres hommes n'aperçoivent pas en eux?

3. Le Livre des Vers dit[27]:

«Sois attentif sur toi-même jusque dans ta maison;

Prends bien garde de ne rien faire, dans le lieu le plus secret, dont tu puisses rougir.»

C'est ainsi que le sage s'attire encore le respect, lors même qu'il ne se produit pas en public; il est encore vrai et sincère, lors même qu'il garde le silence.

4. Le Livre des Vers dit[28]:

«Il se rend avec recueillement et en silence au temple des ancêtres,

Et pendant tout le temps du sacrifice il ne s'élève aucune discussion sur la préséance des rangs et des devoirs.»

C'est ainsi que le sage, sans faire de largesses, porte les hommes à pratiquer la vertu; il ne se livre point à des mouvements de colère, et il est craint du peuple à l'égal des haches et des coutelas.

5. Le Livre des Vers dit[29]:

«Sa vertu recueillie ne se montrait pas, tant elle était profonde!

Cependant tous ses vassaux l'imitèrent!»

C'est pour cela qu'un homme plein de vertus s'attache fortement à pratiquer tout ce qui attire le respect, et par cela même il fait que tous les États jouissent entre eux d'une bonne harmonie.

6. Le Livre des Vers[30] met dans la bouche du souverain suprême ces paroles:

«J'aime et je chéris cette vertu brillante qui est l'accomplissement de la loi naturelle de l'homme,

Et qui ne se révèle point par beaucoup de pompe et de bruit.»

Le Philosophe disait à ce sujet: La pompe extérieure et le bruit servent bien peu pour la conversion des peuples.

Le Livre des Vers dit[31]:

«La vertu est légère comme le duvet le plus fin.»

Le duvet léger est aussi l'objet d'une comparaison:

«Les actions, les opérations secrètes du ciel suprême

N'ont ni son ni odeur.»

C'est le dernier degré de l'immatérialité.

Voilà le trente-troisième chapitre. Tseu-sse ayant, dans les précédents chapitres, porté l'exposé de sa doctrine au dernier degré de l'évidence, revient sur son sujet pour en sonder la base. Ensuite il enseigne qu'il est de notre devoir de donner une attention sérieuse à nos actions et à nos pensées intérieures secrètes; il poursuit, et dit qu'il faut faire tous nos efforts pour atteindre à cette solide vertu qui attire le respect et la vénération de tous les hommes, et procure une abondance de paix et de tranquillité dans tout l'empire. Il exalte ses effets admirables, merveilleux, qui vont jusqu'à la rendre dénuée des attributs matériels du son et de l'odeur; et il s'arrête là. Ensuite il reprend les idées les plus importantes du Livre, et il les explique en les résumant. Son intention, en revenant ainsi sur les principes les plus essentiels pour les inculquer davantage dans l'esprit des hommes, est très-importante et très-profonde. L'étudiant ne doit-il pas épuiser tous les efforts de son esprit pour les comprendre? (TCHOU-HI.)

[25] Livre Kouë-foung, ode Chi-jin

[26] Livre Siao-ya, ode Tching-youë

[27] Livre Ta-ya, ode I.

[28] Livre Chang-soung, ode Lieï-tsou

[29] Livre Tcheou-soung, ode Lieï-wen

[30] Livre Ta-ya, ode Hoang-i

[31] Livre Ta ya, ode Tching-min



LE LUN-YU,

OU

LES ENTRETIENS PHILOSOPHIQUES.

TROISIÈME LIVRE CLASSIQUE.

CHANG-LUN,

PREMIER LIVRE.

CHAPITRE PREMIER,

COMPOSÉ DE 16 ARTICLES.

1. Le philosophe KHOUNG-TSEU a dit: Celui qui se livre à l'étude du vrai et du bien, qui s'y applique avec persévérance et sans relâche, n'en éprouve-t-il pas une grande satisfaction?

N'est-ce pas aussi une grande satisfaction que de voir arriver près de soi, des contrées éloignées, des hommes attirés par une communauté d'idées et de sentiments?

Être ignoré ou méconnu des hommes, et ne pas s'en indigner, n'est-ce pas le propre de l'homme éminemment vertueux?

2. Yeou-tseu (disciple de KHOUNG-TSEU) dit: Il est rare que celui qui pratique les devoirs de la piété filiale et de la déférence fraternelle aime à se révolter contre ses supérieurs; mais il n'arrive jamais que celui qui n'aime pas à se révolter contre ses supérieurs aime à susciter des troubles dans l'empire.

L'homme supérieur ou le sage applique toutes les forces de son intelligence à l'étude des principes fondamentaux; les principes fondamentaux étant bien établis, les règles de conduite, les devoirs moraux s'en déduisent naturellement.La piété filiale, la déférence fraternelle, dont nous avons parlé, ne sont-elles pas le principe fondamental de l'humanité ou de la bienveillance universelle pour les hommes?

3. KHOUNG-TSEU dit: Des expressions ornées et fleuries, un extérieur recherché et plein d'affectation, s'allient rarement avec une vertu sincère.

4. Thsêng-tseu dit: Je m'examine chaque jour sur trois points principaux: N'aurais-je pas géré les affaires d'autrui avec le même zèle et la même intégrité que les miennes propres? n'aurais-je pas été sincère dans mes relations avec mes amis et mes condisciples? n'aurais-je pas conservé soigneusement et pratiqué la doctrine qui m'a été transmise par mes instituteurs?

5. KHOUNG-TSEU dit: Celui qui gouverne un royaume de mille chars[1] doit obtenir la confiance du peuple, en apportant toute sa sollicitude aux affaires de l'État; il doit prendre vivement à cœur les intérêts du peuple en modérant ses dépenses, et n'exiger les corvées des populations qu'en temps convenable.

6. KHOUNG-TSEU dit: Il faut que les enfants aient de la piété filiale dans la maison paternelle, et de la déférence fraternelle au dehors. Il faut qu'ils soient attentifs dans leurs actions, sincères et vrais dans leurs paroles envers tous les hommes, qu'ils doivent aimer de toute la force et l'étendue de leur affection, en s'attachant particulièrement aux personnes vertueuses. Et si, après s'être bien acquittés de leurs devoirs, ils ont encore des forces de reste, ils doivent s'appliquer à orner leur esprit par l'étude et à acquérir des connaissances et des talents.

7. Tseu-hia (disciple de KHOUNG-TSEU) dit: Être épris de la vertu des sages au point d'échanger pour elle tous les plaisirs mondains[2]; servir ses père et mère autant qu'il est en son pouvoir de le faire; dévouer sa personne au service de son prince; et, dans les relations que l'on entretient avec ses amis, porter toujours une sincérité et une fidélité à toute épreuve: quoique celui qui agirait ainsi puisse être considéré comme dépourvu d'instruction, moi je l'appellerai certainement un homme instruit.

8. KHOUNG-TSEU dit: Si l'homme supérieur n'a point de gravité dans sa conduite, il n'inspirera point de respect; et s'il étudie, ses connaissances ne seront pas solides. Observez constamment la sincérité et la fidélité ou la bonne foi; ne contractez pas des liaisons d'amitié avec des personnes inférieures à vous-mêmes moralement ou pour les connaissances; si vous commettez quelques fautes, ne craignez pas de vous corriger.

9. Tcheng-tseu dit: Il faut être attentif à accomplir dans toutes leurs parties les rites funéraires envers ses parents décédés, et offrir les sacrifices prescrits; alors le peuple, qui se trouve dans une condition inférieure, frappé de cet exemple, retournera à la pratique de cette vertu salutaire.

10. Tseu-kin interrogea Tseu-koung, en disant: Quand le philosophe votre maître est venu dans ce royaume, obligé d'étudier son gouvernement, a-t-il lui-même demandé des informations, ou, au contraire, est-on venu les lui donner? Tseu-koung répondit: Notre maître est bienveillant, droit, respectueux, modeste et condescendant; ces qualités lui ont suffi pour obtenir toutes les informations qu'il a pu désirer. La manière de prendre des informations de notre maître ne diffère-t-elle pas de celle de tous les autres hommes?

11. KHOUNG-TSEU dit: Pendant le vivant de votre père, observez avec soin sa volonté; après sa mort, ayez toujours les yeux fixés sur ses actions; pendant les trois années qui suivent la mort de son père, le fils qui, dans ses actions, ne s'écarte point de sa conduite, peut être appelé doué de piété filiale

12. Yeou-tseu dit: Dans la pratique usuelle de la politesse [ou de cette éducation distinguée qui est la loi du ciel][3], la déférence ou la condescendance envers les autres doit être placée au premier rang.C'était la règle de conduite des anciens rois, dont ils tirent un si grand éclat; tout ce qu'ils firent, les grandes comme les petites choses, en dérivent.Mais il est cependant une condescendance que l'on ne doit pas avoir quand on sait que ce n'est que de la condescendance; n'étant pas de l'essence même de la véritable politesse, il ne faut pas la pratiquer.

13. Yeou-tseu dit: Celui qui ne promet que ce qui est conforme à la justice peut tenir sa parole; celui dont la crainte et le respect sont conformes aux lois de la politesse éloigne de lui la honte et le déshonneur. Par la même raison, si l'on ne perd pas en même temps les personnes avec lesquelles on est uni par des liens étroits de parenté, on peut devenir un chef de famille.

14. KHOUNG-TSEU dit: L'homme supérieur, quand il est à table, ne cherche pas à assouvir son appétit; lorsqu'il est dans sa maison, il ne cherche pas les jouissances de l'oisiveté et de la mollesse; il est attentif à ses devoirs et vigilant dans ses paroles; il aime à fréquenter ceux qui ont des principes droits, afin de régler sur eux sa conduite. Un tel homme peut être appelé philosophe, ou qui se plaît dans l'étude de la sagesse[4]

15. Tseu-koung dit: Comment trouvez-vous l'homme pauvre qui ne s'avilit point par une adulation servile; l'homme riche qui ne s'enorgueillit point de sa richesse?

KHOUNG-TSEU dit: Un homme peut encore être estimable sans leur ressembler; mais ce dernier ne sera jamais comparable à l'homme qui trouve du contentement dans sa pauvreté, ou qui, étant riche, se plaît néanmoins dans la pratique des vertus sociales.

Tchou-koung dit: On lit dans le Livre des Vers[5]:

«Comme l'artiste qui coupe et travaille l'ivoire,

Comme celui qui taille et polit les pierres précieuses.»

Ce passage ne fait-il pas allusion à ceux dont il vient d'être question?

KHOUNG-TSEU répondit: Sse (surnom de Tseu-Koung) commence à pouvoir citer dans la conversation des passages du Livre des Vers; il interroge les événements passés pour connaître l'avenir.

16. KHOUNG-TSEU dit: Il ne faut pas s'affliger de ce que les hommes ne nous connaissent pas, mais au contraire de ne pas les connaître nous-mêmes.

[1] «Un royaume de mille chars est un royaume feudataire, dont le territoire est assez étendu pour lever une armée de mille chars de guerre» (Glose.)

[2] La Glose entend par Sse, les plaisirs des femmes

[3] Commentaire de Tchou-hi

[4] En chinois hao-hio, littéralement: aimant, chérissant l'étude

[5] Ode Khi-ngao, section Veï-foung


CHAPITRE II,

COMPOSÉ DE 24 ARTICLES.

1.Le Philosophe[6] dit: Gouverner son pays avec la vertu et la capacité nécessaires, c'est ressembler à l'étoile polaire, qui demeure immobile à sa place, tandis que toutes les autres étoiles circulent autour d'elle et la prennent pour guide.

2. Le Philosophe dit: Le sens des trois cents odes du Livre des Vers est contenu dans une seule de ses expressions: «Que vos pensées ne soient point perverses. »

3.Le Philosophe dit: Si on gouverne le peuple selon les lois d'une bonne administration, et qu'on le maintienne dans l'ordre par la crainte des supplices, il sera circonspect dans sa conduite, sans rougir de ses mauvaises actions.Mais si on le gouverne selon les principes de la vertu, et qu'on le maintienne dans l'ordre par les seules lois de la politesse sociale [qui n'est que la loi du ciel], il éprouvera de la honte d'une action coupable, et il avancera dans le chemin de la vertu.

4.Le Philosophe dit: A l'âge de quinze ans, mon esprit était continuellement occupé à l'étude; à trente ans, je m'étais arrêté dans des principes solides et fixes; à quarante, je n'éprouvais plus de doutes et d'hésitation; à cinquante, je connaissais la loi du ciel [c'est-à-dire la loi constitutive que le ciel a conférée à chaque être de la nature pour accomplir régulièrement sa destinée[7]]; à soixante, je saisissais facilement les causes des événements; à soixante et dix, je satisfaisais aux désirs de mon cœur, sans toutefois dépasser la mesure.

5. Meng-i-tseu (grand du petit royaume de Lou) demanda ce que c'était que l'obéissance filiale.

Le Philosophe dit qu'elle consistait à ne pas s'opposer aux principes de la raison.

Fan-tchi (un des disciples de KHOUNG-TSEU), en conduisant le char de son maître, fut interpellé par lui de cette manière: Meng-sun[8] me questionnait un jour sur la piété filiale; je lui répondis qu'elle consistait à ne pas s'opposer aux principes de la raison.

Fan-tchi dit: Qu'entendez-vous par là? Le Philosophe répondit: Pendant la vie de ses père et mère, il faut leur rendre les devoirs qui leur sont dus, selon les principes de la raison naturelle qui nous est inspirée par le ciel (li); lorsqu'ils meurent, il faut aussi les ensevelir selon les cérémonies prescrites par les rites [qui ne sont que l'expression sociale de la raison céleste], et ensuite leur offrir des sacrifices également conformes aux rites.

6. Meng-wou-pe demanda ce que c'était que la piété filiale. Le Philosophe dit: Il n'y a que les pères et les mères qui s'affligent véritablement de la maladie de leurs enfants.

7. Tseu-yeou demanda ce que c'était que la piété filiale. Le Philosophe dit: Maintenant, ceux qui sont considérés comme ayant de la piété filiale sont ceux qui nourrissent leurs père et mère; mais ce soin s'étend également aux chiens et aux chevaux, car on leur procure aussi leur nourriture. Si on n'a pas de vénération et de respect pour ses parents, quelle différence y aurait-il dans notre manière d'agir?

8. Tseu-hia demanda ce que c'était que la piété filiale. Le Philosophe dit: C'est dans la manière d'agir et de se comporter que réside toute la difficulté. Si les pères et mères ont des travaux à faire, et que les enfants les exemptent de leurs peines; si ces derniers ont le boire et le manger en abondance, et qu'ils leur en cèdent une partie, est-ce là exercer la piété filiale?

9. Le Philosophe dit: Je m'entretiens avec Hoeï (disciple chéri du Philosophe) pendant toute la journée, et il ne trouve rien à m'objecter, comme si c'était un homme sans capacité. De retour chez lui, il s'examine attentivement en particulier, et il se trouve alors capable d'illustrer ma doctrine. Hoeï n'est pas un homme sans capacité.

10.Le Philosophe dit: Observez attentivement les actions d'un homme; voyez quels sont ses penchants; examinez attentivement quels sont ses sujets de joie.Comment pourrait-il échapper à vos investigations?Comment pourrait-il plus longtemps vous en imposer?

11.Le Philosophe dit: Rendez-vous complètement maître de ce que vous venez d'apprendre, et apprenez toujours de nouveau; vous pourrez alors devenir un instituteur des hommes.

12.Le Philosophe dit: L'homme supérieur n'est pas un vain ustensile employé aux usages vulgaires.

13. Tseu-koung demanda quel était l'homme supérieur. Le Philosophe dit: C'est celui qui d'abord met ses paroles en pratique, et ensuite parle conformément à ses actions.

14.Le Philosophe dit: L'homme supérieur est celui qui a une bienveillance égale pour tous, et qui est sans égoïsme et sans partialité.L'homme vulgaire est celui qui n'a que des sentiments d égoïsme, sans disposition bienveillante pour tous les hommes en général.

15.Le Philosophe dit: Si vous étudiez sans que votre pensée soit appliquée, vous perdrez tout le fruit de votre étude; si, au contraire, vous vous abandonnez à vos pensées sans les diriger vers l'étude, vous vous exposez à de graves inconvénients.

16.Le Philosophe dit: Opposez-vous aux principes différents des véritables[9]; ils sont dangereux et portent à la perversité[10]

17. Le Philosophe dit: Yeou, savez-vous ce que c'est que la science?Savoir que l'on sait ce que l'on sait, et savoir que l'on ne sait pas ce que l'on ne sait pas: voilà la véritable science.

18. Tseu-tchang étudia dans le but d'obtenir les fonctions de gouverneur. Le Philosophe lui dit: Écoutez beaucoup, afin de diminuer vos doutes; soyez attentif à ce que vous dites, afin de ne rien dire de superflu; alors vous commettrez rarement des fautes. Voyez beaucoup, afin de diminuer les dangers que vous pourriez courir en n'étant pas informé de ce qui se passe. Veillez attentivement sur vos actions, et vous aurez rarement du repentir. Si dans vos paroles il vous arrive rarement de commettre des fautes, et si dans vos actions vous trouvez rarement une cause de repentir, vous possédez déjà la charge à laquelle vous aspirez.

19. Ngaï-koung (prince de Lou) fit la question suivante: Comment ferai-je pour assurer la soumission du peuple? KHOUNG-TSEU lui répondit: Élevez, honorez les hommes droits et intègres; abaissez, destituez les hommes corrompus et pervers, alors le peuple vous obéira. Élevez, honorez les hommes corrompus et pervers; abaissez, destituez les hommes droits et intègres, et le peuple vous désobéira.

20. Ki-kang (grand du royaume de Lou) demanda comment il faudrait faire pour rendre le peuple respectueux, fidèle, et pour l'exciter à la pratique de la vertu.Le Philosophe dit: Surveillez-le avec dignité et fermeté, et alors il sera respectueux; ayez de la piété filiale et de la commisération, et alors il sera fidèle; élevez aux charges publiques et aux honneurs les hommes vertueux, et donnez de l'instruction à ceux qui ne peuvent se la procurer par eux-mêmes, alors il sera excité à la vertu.

21. Quelqu'un parla ainsi à KHOUNG-TSEU: Philosophe, pourquoi n'exercez-vous pas une fonction dans l'administration publique? Le Philosophe dit: On lit dans le Chou-king[11]: «S'agit-il de la piété filiale?Il n'y a que la piété filiale et la concorde entre les frères de différents âges, qui doivent être principalement cultivées par ceux qui occupent des fonctions publiques: ceux qui pratiquent ces vertus remplissent par cela même des fonctions publiques d'ordre et d'administration.»

Pourquoi considérer seulement ceux qui occupent des emplois publics comme remplissant des fonctions publiques?

22.Le Philosophe dit: Un homme dépourvu de sincérité et de fidélité est un être incompréhensible à mes yeux.C'est un grand char sans flèche, un petit char sans timon; comment peut-il se conduire dans le chemin de la vie?

23. Tseu-tchang demanda si les événements de dix générations pouvaient être connus d'avance.

Le Philosophe dit: Ce que la dynastie des Yn (ou des Chang) emprunta à celle des Hia en fait de rites et de cérémonies, peut être connu; ce que la dynastie des Tcheou (sous laquelle vivait le Philosophe) emprunta à celle des Yn en fait de rites et de cérémonies, peut être connu. Qu'une autre dynastie succède à celle des Tcheou[12] alors même les événements de cent générations pourront être prédits[13]

24.Le Philosophe dit: Si ce n'est pas au génie auquel on doit sacrifier que l'on sacrifie, l'action que l'on fait n'est qu'une tentative de séduction avec un dessein mauvais; si l'on voit une chose juste, et qu'on ne la pratique pas, on commet une lâcheté.

[6] Nous emploierons dorénavant ce mot pour rendre le mot chinois tseu, lorsqu'il est isolé, terme dont on qualifie en Chine ceux qui se sont livrés à l'étude de la sagesse, et dont le chef et le modèle est KHOUNG-tseu», ou KHOUNG-FOU-tseu.

[7] Commentaire

[8] Celui dont il vient d'être question.

[9] Ce sont des principes, des doctrines contraires à celles des saints hommes. (TCHOU-HI.)

[10] Le commentateur Tching-tseu dit que les paroles ou la doctrine de Fo, ainsi que celles de Yana et de , ne sont pas conformes à la raison.

[11] Voyez la traduction de ce Livre dans notre volume intitulé Les Livres sacrés de l'Orient

[12] Cette supposition même est hardie de la part du Philosophe.

[13] Selon les commentateurs chinois, qui ne font que confirmer ce qui résulte clairement du texte, le Philosophe dit à son disciple que l'étude du passé peut seule faire prévoir l'avenir, et que par son moyen on peut arriver à connaître la loi des événements sociaux.


CHAPITRE III,

COMPOSÉ DE 26 ARTICLES.

1. KHOUNG-TSEU dit que Ki-chi (grand du royaume de Lou) employait huit troupes de musiciens à ses fêtes de famille; s'il peut se permettre d'agir ainsi, que n'est-il pas capable de faire[14]?

2. Les trois familles (des grands du royaume de Lou) se servaient de la musique Young-tchiLe Philosophe dit:

«Il n'y a que les princes qui assistent à la cérémonie;

Le fils du Ciel (l'empereur) conserve un air profondément recueilli et réservé. » (Passage du Livre des Vers.)

Comment ces paroles pourraient-elles s'appliquer à la salle des trois familles?

3.Le Philosophe dit: Être homme, et ne pas pratiquer les vertus que comporte l'humanité, comment serait-ce se conformer aux rites?Être homme, et ne pas posséder les vertus que comporte l'humanité[15], comment jouerait-on dignement de la musique?

4. Ling-fang (habitant du royaume de Lou) demanda quel était le principe fondamental des rites [ou de la raison céleste, formulé en diverses cérémonies sociales][16]

Le Philosophe dit: C'est là une grande question, assurément!En fait de rites, une stricte économie est préférable à l'extravagance; en fait de cérémonies funèbres, une douleur silencieuse est préférable à une pompe vaine et stérile.

5. Le Philosophe dit: Les barbares du nord et de l'occident (les I et les Joung) ont des princes qui les gouvernent; ils ne ressemblent pas à nous tous, hommes de Hia (de l'empire des Hi), qui n'en avons point.

6. Ki-chi alla sacrifier au mont Taï-chan (dans le royaume de Lou). Le Philosophe interpella Yen-yéou[17], en lui disant: Ne pouvez-vous pas l'en empêcher? Ce dernier lui répondit respectueusement: Je ne le puis! Le Philosophe s'écria: Hélas! hélas! ce que vous avez dit relativement au mont Taï-chan me fait voir que vous êtes inférieur à Ling-fang (pour la connaissance des devoirs du cérémonial[18]).

7.Le Philosophe dit: L'homme supérieur n'a de querelles ou de contestations avec personne.S'il lui arrive d'en avoir, c'est quand il faut tirer au but.Il cède la place à son antagoniste vaincu, et il monte dans la salle; il en descend ensuite pour prendre une tasse avec lui (en signe de paix).Voilà les seules contestations de l'homme supérieur.

8. Tseu-hia fit une question en ces termes:

«Que sa bouche fine et délicate a un sourire agréable!

Que son regard est doux et ravissant! Il faut que le fond du tableau soit préparé pour peindre! » (Paroles du Livre des Vers.)Quel est le sens de ces paroles?

Le Philosophe dit: Préparez d'abord le fond du tableau pour y appliquer ensuite les couleurs. Tseu-hia dit: Les lois du rituel sont donc secondaires? Le Philosophe dit: Vous avez saisi ma pensée, ô Chang! Vous commencez maintenant à comprendre mes entretiens sur la poésie.

9. Le Philosophe dit: Je puis parler des rites et des cérémonies de la dynastie Hia; mais Ki est incapable d'en comprendre le sens caché. Je puis parler des rites et des cérémonies de la dynastie Yn; mais Sung est incapable d'en saisir le sens caché: le secours des lois et l'opinion des sages ne suffisent pas pour en connaître les causes. S'ils suffisaient, alors nous pourrions en saisir le sens le plus caché.

10. Le Philosophe dit: Dans le grand sacrifice royal nommé Ti, après que la libation a été faite pour demander la descente des esprits, je ne désire plus rester spectateur de la cérémonie.

11.Quelqu'un ayant demandé quel était le sens du grand sacrifice royal, le Philosophe dit: Je ne le connais pas.Celui qui connaîtrait ce sens, tout ce qui est sous le ciel serait pour lui clair et manifeste; il n'éprouverait pas plus de difficultés à tout connaître qu'à poser le doigt dans la paume de sa main.

12.Il faut sacrifier aux ancêtres comme s'ils étaient présents; il faut adorer les esprits et les génies comme s'ils étaient présents.Le Philosophe dit: Je ne fais pas les cérémonies du sacrifice comme si ce n'était pas un sacrifice.

13. Wang-sun-kia demanda ce que l'on entendait en disant qu'il valait mieux adresser ses hommages au génie des grains qu'au génie du foyer. Le Philosophe dit: Il n'en est pas ainsi; dans cette supposition, celui qui a commis une faute envers le ciel[19] ne saurait pas à qui adresser sa prière.

14. Le Philosophe dit: Les fondateurs de la dynastie des Tchcou examinèrent les lois et la civilisation des deux dynasties qui les avaient précédés; quels progrès ne firent-ils pas faire à cette civilisation! Je suis pour les Tcheou

15. Quand le Philosophe entra dans le grand temple, il s'informa minutieusement de chaque chose; quelqu'un s'écria: Qui dira maintenant que le fils de l'homme de Tséou[20] connaît les rites et les cérémonies? Lorsqu'il est entré dans le grand temple, il s'est informé minutieusement de chaque chose! Le Philosophe ayant entendu ces paroles, dit: Cela même est conforme aux rites.

16.Le Philosophe dit: En tirant à la cible, il ne s'agit pas de dépasser le but, mais de l'atteindre; toutes les forces ne sont pas égales; c'était là la règle des anciens.

17. Tseu-koung désira abolir le sacrifice du mouton, qui s'offrait le premier jour de la douzième lune. Le Philosophe dit: Sse, vous n'êtes occupés que du sacrifice du mouton; moi je ne le suis que de la cérémonie.

18.Le Philosophe dit: Si quelqu'un sert (maintenant) le prince comme il doit l'être, en accomplissant les rites, les hommes le considèrent comme un courtisan et un flatteur.

19. Ting (prince de Lou) demanda comment un prince doit employer ses ministres, et les ministres servir le prince. KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: Un prince doit employer ses ministres selon qu'il est prescrit dans les rites; les ministres doivent servir le prince avec fidélité.

20. Le Philosophe dit: Les modulations joyeuses de l'ode Kouan-tseu n'excitent pas des désirs licencieux; les modulations tristes ne blessent pas les sentiments.

21. Ngaï-koung (prince de Lou) questionna Tsaï-ngo, disciple de KHOUNG-TSEU, relativement aux autels ou tertres de terre érigés en l'honneur des génies. Tsaï-ngo répondit avec déférence: Les familles princières de la dynastie Hia érigèrent ces autels autour de l'arbre pin; les hommes de la dynastie Yn, autour des cyprès; ceux de la dynastie Tcheou, autour du châtaignier: car on dit que le châtaignier a la faculté de rendre le peuple craintif[21]

Le Philosophe ayant entendu ces mots, dit: Il ne faut pas parler des choses accomplies, ni donner des avis concernant celles qui ne peuvent pas se faire convenablement; ce qui est passé doit être exempt de blâme.

22. Le Philosophe dit: Kouan-tchoung (grand ou ta-fou de l'État de Thsi) est un vase de bien peu de capacité. Quelqu'un dit: Kouan-tchoung est donc avare et parcimonieux? [Le Philosophe] répliqua: Kouan-chi (le même) a trois grands corps de bâtiments nommés Koueï, et dans le service de ses palais il n'emploie pas plus d'un homme pour un office: est-ce là de l'avarice et de la parcimonie?

Alors, s'il en est ainsi, Kouan-tchoung connaît-il les rites?

[Le Philosophe] répondit: Les princes d'un petit État ont leurs portes protégées par des palissades; Kouan-chi a aussi ses portes protégées par des palissades. Quand deux princes d'un petit État se rencontrent, pour fêter leur bienvenue, après avoir bu ensemble, ils renversent leurs coupes; Kouan-chi a aussi renversé sa coupe. Si Kouan-chi connaît les rites ou usages prescrits, pourquoi vouloir qu'il ne les connaisse pas?

23. Le Philosophe s'entretenant un jour sur la musique avec le Taï-sse, ou intendant de la musique du royaume de Lou, dit: En fait de musique, vous devez être parfaitement instruit; quand on compose un air, toutes les notes ne doivent-elles pas concourir à l'ouverture?en avançant, ne doit-on pas chercher à produire l'harmonie, la clarté, la régularité, dans le but de compléter le chant?

24. Le résident de Y demanda avec prière d'être introduit [près du Philosophe], disant: «Lorsque des hommes supérieurs sont arrivés dans ces lieux, je n'ai jamais été empêché de les voir. » Ceux qui suivaient le Philosophe l'introduisirent, et quand le résident sortit, il leur dit: Disciples du Philosophe, en quelque nombre que vous soyez, pourquoi gémissez-vous de ce que votre maître a perdu sa charge dans le gouvernement? L'empire[22] est sans lois, sans direction depuis longtemps; le ciel va prendre ce grand homme pour en faire un héraut[23] rassemblant les populations sur son passage, et pour opérer une grande réformation.

25. Le Philosophe appelait le chant de musique nommé Tchao (composé par Chun) parfaitement beau, et même parfaitement propre à inspirer la vertu. Il appelait le chant de musique nommé Vou, guerrier, parfaitement beau, mais nullement propre à inspirer la vertu.

26.Le Philosophe dit: Occuper le rang suprême, et ne pas exercer des bienfaits envers ceux que l'on gouverne; pratiquer les rites et usages prescrits sans aucune sorte de respect, et les cérémonies funèbres sans douleur véritable: voilà ce que je ne puis me résigner à voir.

[14] Il était permis aux empereurs, par les rites, d'avoir huit troupes de musiciens dans les fêtes; aux princes, six; et aux ta-fou ou ministres, quatre. Ki-chi usurpait le rang de prince.

[15] Jin, la droite raison du monde. (Comm.)

[16] C'est ainsi que les commentateurs chinois entendent le mot li

[17] Disciple du Philosophe, et aide-assistant de Ki-chi

[18] Il n'y avait que le chef de l'État qui avait le droit d'aller sacrifier au mont Taï-chan

[19] «Envers la raison (li)» (Comm.)

[20] L'homme de Tséou, c'est-à-dire le père de KHOUNG-TSEU

[21] Le nom même du châtaignier, li, signifie craindre

[22] Littéralement: tout ce qui est sous le ciel (Thian-hia, le monde).

[23] Tel est le sens que comportent les deux mots chinois mou-to, littéralement: clochette avec battant de bois, dont se servaient les hérauts dans les anciens temps, pour rassembler la multitude dans le but de lui faire connaître un message du prince.(Comment.) Le texte porte littéralement: le ciel va prendre votre maître pour en faire une clochette avec un battant de boisNous avons dû traduire en le paraphrasant, pour en faire comprendre le sens.


CHAPITRE IV,

COMPOSÉ DE 26 ARTICLES.

1.Le Philosophe dit: L'humanité ou les sentiments de bienveillance envers les autres sont admirablement pratiqués dans les campagnes; celui qui, choisissant sa résidence, ne veut pas habiter parmi ceux qui possèdent si bien l'humanité ou les sentiments de bienveillance envers les autres, peut-il être considéré comme doué d'intelligence?

2.Le Philosophe dit: Ceux qui sont dépourvus d'humanité[24] ne peuvent se maintenir longtemps vertueux dans la pauvreté, ne peuvent se maintenir longtemps vertueux dans l'abondance et les plaisirs. Ceux qui sont pleins d'humanité aiment à trouver le repos dans les vertus de l'humanité; et ceux qui possèdent la science trouvent leur profit dans l'humanité.

3.Le Philosophe dit: Il n'y a que l'homme plein d'humanité qui puisse aimer véritablement les hommes et les haïr d'une manière convenable[25]

4.Le Philosophe dit: Si la pensée est sincèrement dirigée vers les vertus de l'humanité, on ne commettra point d'actions vicieuses.

5.Le Philosophe dit: Les richesses et les honneurs sont l'objet du désir des hommes; si on ne peut les obtenir par des voies honnêtes et droites, il faut y renoncer.La pauvreté et une position humble ou vile sont l'objet de la haine et du mépris des hommes; si on ne peut en sortir par des voies honnêtes et droites, il faut y rester.Si l'homme supérieur abandonne les vertus de l'humanité, comment pourrait-il rendre sa réputation de sagesse parfaite?L'homme supérieur ne doit pas un seul instant[26] agir contrairement aux vertus de l'humanité. Dans les moments les plus pressés, comme dans les plus confus, il doit s'y conformer.

6.Le Philosophe dit: Je n'ai pas encore vu un homme qui aimât convenablement les hommes pleins d'humanité, qui eût une haine convenable pour les hommes vicieux et pervers.Celui qui aime les hommes pleins d'humanité ne met rien au-dessus d'eux; celui qui hait les hommes sans humanité pratique l'humanité; il ne permet pas que les hommes sans humanité approchent de lui.

Y a-t-il des personnes qui puissent faire un seul jour usage de toutes leurs forces pour la pratique des vertus de l'humanité?[S'il s'en est trouvé] je n'ai jamais vu que leurs forces n'aient pas été suffisantes [pour accomplir leur dessein], et, s'il en existe, je ne les ai pas encore vues.

7.Le Philosophe dit: Les fautes des hommes sont relatives à l'état de chacun.En examinant attentivement ces fautes, on arrivera à connaître si leur humanité était une véritable humanité.

8.Le Philosophe dit: Si le matin vous avez entendu la voix de la raison céleste, le soir vous pourrez mourir[27]

9.Le Philosophe dit: L'homme d'étude dont la pensée est dirigée vers la pratique de la raison, mais qui rougit de porter de mauvais vêtements et de se nourrir de mauvais aliments, n'est pas encore apte à entendre la sainte parole de la justice.

10.Le Philosophe dit: L'homme supérieur, dans toutes les circonstances de la vie, est exempt de préjugés et d'obstination; il ne se règle que d'après la justice.

11.Le Philosophe dit: L'homme supérieur fixe ses pensées sur la vertu; l'homme vulgaire les attache à la terre.L'homme supérieur ne se préoccupe que de l'observation des lois; l'homme vulgaire ne pense qu'aux profits.

12.Le Philosophe dit: Appliquez-vous uniquement aux gains et aux profits, et vos actions vous feront recueillir beaucoup de ressentiments.

13.Le Philosophe dit: L'on peut, par une réelle et sincère observation des rites, régir un royaume; et cela n'est pas difficile à obtenir.Si l'on ne pouvait pas, par une réelle et sincère observation des rites, régir un royaume, à quoi servirait de se conformer aux rites?

14.Le Philosophe dit: Ne soyez point inquiet de ne point occuper d'emplois publics; mais soyez inquiet d'acquérir les talents nécessaires pour occuper ces emplois.Ne soyez point affligé de ne pas encore être connu; mais cherchez à devenir digne de l'être.

15. Le Philosophe dit: San! (nom de Thsêng-tseu) ma doctrine est simple et facile à pénétrer. Thsêng-tseu répondit: Cela est certain.

Le Philosophe étant sorti, ses disciples demandèrent ce que leur maître avait voulu dire. Thsêng-tseu répondit: «La doctrine de notre maître consiste uniquement à avoir la droiture du cœur et à aimer son prochain comme soi-même[28]»

16.Le Philosophe dit: L'homme supérieur est influencé par la justice; l'homme vulgaire est influencé par l'amour du gain.

17.Le Philosophe dit: Quand vous voyez un sage, réfléchissez en vous-même si vous avez les mêmes vertus que lui.Quand vous voyez un pervers, rentrez en vous-même, et examinez attentivement votre conduite.

18.Le Philosophe dit: En vous acquittant de vos devoirs envers vos père et mère, ne faites que très-peu d'observations; si vous voyez qu'ils ne sont pas disposés à suivre vos remontrances, ayez pour eux les mêmes respects, et ne vous opposez pas à leur volonté; si vous éprouvez de leur part de mauvais traitements, n'en murmurez pas.

19.Le Philosophe dit: Tant que votre père et votre mère subsistent, ne vous éloignez pas d'eux; si vous vous éloignez, vous devez leur faire connaître la contrée où vous allez vous rendre.

20.Le Philosophe dit: Pendant trois années (depuis sa mort), ne vous écartez pas de la voie qu'a suivie votre père; votre conduite pourra être alors appelée de la piété filiale.

21.Le Philosophe dit: L'âge de votre père et de votre mère ne doit pas être ignoré de vous; il doit faire naître en vous, tantôt de la joie, tantôt de la crainte.

22.Le Philosophe dit: Les anciens ne laissaient point échapper de vaines paroles, craignant que leurs actions n'y répondissent point.

23.Le Philosophe dit: Ceux qui se perdent en restant sur leurs gardes sont bien rares!

24.Le Philosophe dit: L'homme supérieur aime à être lent dans ses paroles, mais rapide dans ses actions.

25.Le Philosophe dit: La vertu ne reste pas comme une orpheline abandonnée; elle doit nécessairement avoir des voisins.

26. Tseu-yeou dit: Si dans le service d'un prince il arrive de le blâmer souvent, on tombe bientôt en disgrâce. Si dans les relations d'amitié on blâme souvent son ami, on éprouvera bientôt son indifférence.

[24] Nous emploierons désormais ce terme pour rendre le caractère chinois jin, qui comprend toutes les vertus attachées à l'humanité

[25] La même idée est exprimée presque avec les mêmes termes dans le Ta-hio, chap.X, paragr.14.

[26] Littéralement: intervalle d'un repas

[27] Le caractère Tao de cette admirable sentence, que nous avons traduit par voix de la raison divine, est expliqué ainsi par Tchou-hi: La raison ou le principe des devoirs dans les actions de la vie: sse we thang jan tchi li

[28] En chinois, tchoung et chouOn croira difficilement que notre traduction soit exacte; cependant nous ne pensons pas que l'on puisse en faire une plus fidèle.


CHAPITRE V,

COMPOSÉ DE 27 ARTICLES.

1. Le Philosophe dit que Kong-tchi-tchang (un de ses disciples) pouvait se marier, quoiqu'il fût dans les prisons, parce qu'il n'était pas criminel; et il se maria avec la fille du Philosophe.

Le Philosophe dit à Nan-young (un de ses disciples) que si le royaume était gouverné selon les principes de la droite raison, il ne serait pas repoussé des emplois publics; que si, au contraire, il n'était pas gouverné par les principes de la droite raison, il ne subirait aucun châtiment: et il le maria avec la fille de son frère aîné.

2. Le Philosophe dit que Tseu-tsien (un de ses disciples) était un homme d'une vertu supérieure. Si le royaume de Lou ne possédait aucun homme supérieur, où celui-ci aurait-il pris sa vertu éminente?

3. Tseu-koung fit une question en ces termes: Que pensez-vous de moi? Le Philosophe répondit: Vous êtes un vase. —Et quel vase? reprit le disciple. —Un vase chargé d'ornements[29], dit le Philosophe.

4. Quelqu'un dit que Young (un des disciples de KHOUNG-TSEU) était plein d'humanité, mais qu'il était dénué des talents de la parole.Le Philosophe dit: A quoi bon faire usage de la faculté de parler avec adresse?Les discussions de paroles que l'on a avec les hommes nous attirent souvent leur haine.Je ne sais pas s'il a les vertus de l'humanité; pourquoi m'informerais-je s'il sait parler avec adresse?

5. Le Philosophe pensait à faire donner à Tsi-tiao-kaï (un de ses disciples) un emploi dans le gouvernement. Ce dernier dit respectueusement à son maître: Je suis encore tout à fait incapable de comprendre parfaitement les doctrines que vous nous enseignez. Le Philosophe fut ravi de ces paroles.

6. Le Philosophe dit: La voie droite (sa doctrine) n'est point fréquentée. Si je me dispose à monter un bateau pour aller en mer, celui qui me suivra, n'est-ce pas Yeou (surnom de Tseu-lou)? Tseu-lou, entendant ces paroles, fut ravi de joie. Le Philosophe dit: Yeou, vous me surpassez en force et en audace, mais non en ce qui consiste à saisir la raison des actions humaines.

7. Meng-wou-pe (premier ministre du royaume de Lou) demanda si Tseu-lou était humain. Le Philosophe dit: Je l'ignore. Ayant répété sa demande, le Philosophe répondit: S'il s'agissait de commander les forces militaires d'un royaume de mille chars, Tseu-lou en serait capable; mais je ne sais pas quelle est son humanité.

—Et Kieou, qu'en faut-il penser? Le Philosophe dit: Kieou? s'il s'agissait d'une ville de mille maisons, ou d'une famille de cent chars, il pourrait en être le gouverneur: je ne sais pas quelle est son humanité.

—Et Tchi (un des disciples de KHOUNG-TSEU), qu'en faut-il penser? Le Philosophe dit: Tchi, ceint d'une ceinture officielle, et occupant un poste à la cour, serait capable, par son élocution fleurie, d'introduire et de reconduire les hôtes: je ne sais pas quelle est son humanité.

8. Le Philosophe interpella Tseu-koung, en disant: Lequel de vous, ou de Hoeï, surpasse l'autre en qualités?[Tseu-koung] répondit avec respect: Moi Sse, comment oserais-je espérer d'égaler seulement Hoeï?Hoeï n'a besoin que d'entendre une partie d'une chose pour en comprendre de suite les dix parties; moi Sse, d'avoir entendu cette seule partie, je ne puis en comprendre que deux [sur dix].

Le Philosophe dit: Vous ne lui ressemblez pas; je vous accorde que vous ne lui ressemblez pas.

9. Tsaï-yu se reposait ordinairement sur un lit pendant le jour. Le Philosophe dit: Le bois pourri ne peut être sculpté; un mur de boue ne peut être blanchi; à quoi servirait-il de réprimander Yu?

Le Philosophe dit: Dans le commencement de mes relations avec les hommes, j'écoutais leurs paroles, et je croyais qu'ils s'y conformaient dans leurs actions. Maintenant, dans mes relations avec les hommes, j'écoute leurs paroles, mais j'examine leurs actions. Tsaï-yu a opéré en moi ce changement.

10. Le Philosophe dit: Je n'ai pas encore vu un homme qui fût inflexible dans ses principes. Quelqu'un lui répondit avec respect: Et Chin-tchang? Le Philosophe dit: Chang est adonné au plaisir; comment serait-il inflexible dans ses principes?

11. Tseu-koung dit: Ce que je ne désire pas que les hommes me fassent, je désire également ne pas le faire aux autres hommes. Le Philosophe dit: Sse, vous n'avez pas encore atteint ce point de perfection.

12. Tseu-koung dit: On peut souvent entendre parler notre maître sur les qualités et les talents nécessaires pour faire un homme parfaitement distingué; mais il est bien rare de l'entendre discourir sur la nature de l'homme et sur la raison céleste.

13. Tseu-lou avait entendu (dans les enseignements de son maître) quelque maxime morale qu'il n'avait pas encore pratiquée; il craignait d'en entendre encore de semblables.

14. Tseu-koung fit une question en ces termes: Pourquoi Khoung-wen-tseu est-il appelé lettré, ou d'une éducation distinguée (wen)? Le Philosophe dit: Il est intelligent, et il aime l'étude; il ne rougit pas d'interroger ses inférieurs (pour en recevoir d'utiles informations); c'est pour cela qu'il est appelé lettré ou d'une éducation distinguée.

15. Le Philosophe dit que Tseu-tchan (grand de l'État de Tching) possédait les qualités, au nombre de quatre, d'un homme supérieur; ses actions étaient empreintes de gravité et de dignité; en servant son supérieur, il était respectueux; dans les soins qu'il prenait pour la subsistance du peuple, il était plein de bienveillance et de sollicitude; dans la distribution des emplois publics, il était juste et équitable.

16. Le Philosophe dit: Ngan-ping-tchoung (grand de l'État de Thsi) savait se conduire parfaitement dans ses relations avec les hommes; après un long commerce avec lui, les hommes continuaient à le respecter.

17. Le Philosophe dit: Tchang-wen-tchoung (grand du royaume de Lou) logea une grande tortue dans une demeure spéciale, dont les sommités représentaient des montagnes, et les poutres des herbes marines.Que doit-on penser de son intelligence?

18. Tseu-tchang fit une question en ces termes: Le mandarin Tseu-wen fut trois fois promu aux fonctions de premier ministre (ling-yin) sans manifester de la joie, et il perdit par trois fois cette charge sans montrer aucun regret.Comme ancien premier ministre, il se fit un devoir d'instruire de ses fonctions le nouveau premier ministre.Que doit-on penser de cette conduite?Le Philosophe dit qu'elle fut droite et parfaitement honorable.[Le disciple] reprit: Etait-ce de l'humanité?[Le Philosophe] répondit: Je ne le sais pas encore: pourquoi [dans sa conduite toute naturelle] vouloir trouver la grande vertu de l'humanité?

Tsouï-tseu (grand du royaume de Thsi), ayant assassiné le prince de Thsi, Tchin-wen-tseu (également grand dignitaire, ta-fou, de l'État de Thsi), qui possédait dix quadriges (ou quarante chevaux de guerre), s'en défit, et se retira dans un autre royaume. Lorsqu'il y fut arrivé, il dit: «Ici aussi il y a des grands comme notre Tsouï-tseu. » Il s'éloigna de là, et se rendit dans un autre royaume. Lorsqu'il y fut arrivé, il dit encore: «Ici aussi il y a des grands comme notre Tsouï-tseu» Et il s'éloigna de nouveau.Que doit-on penser de cette conduite?Le Philosophe dit: Il était pur.—Etait-ce de l'humanité?[Le Philosophe] dit: Je ne le sais pas encore; pourquoi [dans sa conduite toute naturelle] vouloir trouver la grande vertu de l'humanité?

19. Ki-wen-tseu (grand du royaume de Lou) réfléchissait trois fois avant d'agir.Le Philosophe ayant entendu ces paroles, dit: Deux fois peuvent suffire.

20. Le Philosophe dit: Ning-wou-tseu (grand de l'État de Weï), tant que le royaume fut gouverné selon les principes de la droite raison, affecta de montrer sa science; mais, lorsque le royaume ne fut plus dirigé par les principes de la droite raison, alors il affecta une grande ignorance.Sa science peut être égalée; sa [feinte] ignorance ne peut pas l'être.

21. Le Philosophe étant dans l'État de Tchin s'écria: Je veux m'en retourner! je veux m'en retourner! les disciples que j'ai dans mon pays ont de l'ardeur, de l'habileté, du savoir, des manières parfaites; mais ils ne savent pas de quelle façon ils doivent se maintenir dans la voie droite.

22. Le Philosophe dit: Pe-i et Chou-tsi[30] ne pensent point aux fautes que l'on a pu commettre autrefois [si l'on a changé de conduite]; aussi il est rare que le peuple éprouve des ressentiments contre eux.

23. Le Philosophe dit: Qui peut dire que Weï-sang-kao était un homme droit? Quelqu'un lui ayant demandé du vinaigre, il alla en chercher chez son voisin pour le lui donner.

24. Le Philosophe dit: Des paroles fleuries, des manières affectées, et un respect exagéré, voilà ce dont Tso-kieou-ming rougit. Moi KHIEOU (petit nom du Philosophe) j'en rougis également. Cacher dans son sein de la haine et des ressentiments en faisant des démonstrations d'amitié à quelqu'un, voilà ce dont Tso-kieou-ming rougit. Moi KHIEOU, j'en rougis également.

25. Yen-youan et Ki-lou étant à ses côtés, le Philosophe leur dit: Pourquoi l'un et l'autre ne m'exprimez-vous pas votre pensée? Tseu-lou dit: Moi, je désire des chars, des chevaux, des pelisses fines et légères, pour les partager avec mes amis. Quand même ils me les prendraient, je n'en éprouverais aucun ressentiment.

Yen-youan dit: Moi, je désire de ne pas m'enorgueillir de ma vertu ou de mes talents, et de ne pas répandre le bruit de mes bonnes actions.

Tseu-lou dit: Je désirerais entendre exprimer la pensée de notre maître. Le Philosophe dit: Je voudrais procurer aux vieillards un doux repos; aux amis et à ceux avec lesquels on a des relations, conserver une fidélité constante; aux enfants et aux faibles, donner des soins tout maternels[31]

26.Le Philosophe dit: Hélas!je n'ai pas encore vu un homme qui ait pu apercevoir ses défauts et qui s'en soit blâmé intérieurement.

27. Le Philosophe dit: Dans un village de dix maisons, il doit y avoir des hommes aussi droits, aussi sincères que KHIEOU (lui-même); mais il n'y en a point qui aiment l'étude comme lui.