Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I
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Le Pape Iulle second, ayant enuoyé vn Ambassadeur vers le Roy
d'Angleterre, pour l'animer contre le Roy François, l'Ambassadeur
ayant esté ouy sur sa charge, et le Roy d'Angleterre s'estant arresté
en sa response, aux difficultez qu'il trouuoit à dresser les•
preparatifs qu'il faudroit pour combattre vn Roy si puissant, et en
alleguant quelques raisons: l'Ambassadeur repliqua mal à propos,
qu'il les auoit aussi considerées de sa part, et les auoit bien dictes
au Pape.De cette parole si esloignée de sa proposition, qui estoit
de le pousser incontinent à la guerre, le Roy d'Angleterre print le
premier argument de ce qu'il trouua depuis par effect, que cet•
Ambassadeur, de son intention particuliere pendoit du costé de
France, et en ayant aduerty son maistre, ses biens furent confisquez,
et ne tint à guere qu'il n'en perdist la vie.
d'Angleterre, pour l'animer contre le Roy François, l'Ambassadeur
ayant esté ouy sur sa charge, et le Roy d'Angleterre s'estant arresté
en sa response, aux difficultez qu'il trouuoit à dresser les•
preparatifs qu'il faudroit pour combattre vn Roy si puissant, et en
alleguant quelques raisons: l'Ambassadeur repliqua mal à propos,
qu'il les auoit aussi considerées de sa part, et les auoit bien dictes
au Pape.De cette parole si esloignée de sa proposition, qui estoit
de le pousser incontinent à la guerre, le Roy d'Angleterre print le
premier argument de ce qu'il trouua depuis par effect, que cet•
Ambassadeur, de son intention particuliere pendoit du costé de
France, et en ayant aduerty son maistre, ses biens furent confisquez,
et ne tint à guere qu'il n'en perdist la vie.
CHAPITRE X. (TRADUCTION LIV.I, CH.X.)
Du parler prompt ou tardif.
ONC ne furent à tous toutes graces données.
Aussi voyons nous qu'au don d'eloquence, les vns ont la facilité
et la promptitude, et ce qu'on dit, le boutehors si aisé, qu'à chasque1
bout de champ ils sont prests: les autres plus tardifs ne parlent
iamais rien qu'elabouré et premedité.Comme on donne des regles
aux dames de prendre les ieux et les exercices du corps, selon l'auantage
de ce qu'elles ont le plus beau.Si i'auois à conseiller de
mesmes, en ces deux diuers aduantages de l'eloquence, de laquelle•
il semble en nostre siecle, que les Prescheurs et les Aduocats facent
principalle profession, le tardif seroit mieux Prescheur, ce me semble,
et l'autre mieux Aduocat: par ce que la charge de celuy-là luy
donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer; et puis sa
carriere se passe d'vn fil et d'vne suite, sans interruption: là où2
les commoditez de l'Aduocat le pressent à toute heure de se mettre
en lice: et les responces improuueuës de sa partie aduerse, le reiettent
de son branle, où il luy faut sur le champ prendre nouueau
party.Si est-ce qu'à l'entreueuë du Pape Clement et du Roy François
à Marseille, il aduint tout au rebours, que Monsieur Poyet,•
homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant
charge de faire la harangue au Pape, et l'ayant de longue main
pourpensee, voire, à ce qu'on dict, apportée de Paris toute preste,
le iour mesme qu'elle deuoit estre prononcée, le Pape se craignant
qu'on luy tinst propos qui peust offenser les Ambassadeurs des3
autres Princes qui estoyent autour de luy, manda au Roy l'argument
qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu,
mais de fortune, tout autre que celuy, sur lequel Monsieur Poyet
s'estoit trauaillé: de façon que sa harengue demeuroit inutile, et
luy en falloit promptement refaire vne autre.Mais s'en sentant
incapable, il fallut que Monsieur le Cardinal du Bellay en prinst
la charge.La part de l'Aduocat est plus difficile que celle du Prescheur:•
et nous trouuons pourtant ce m'est aduis plus de passables
Aduocats que Prescheurs, au moins en France.Il semble que
ce soit plus le propre de l'esprit, d'auoir son operation prompte
et soudaine, et plus le propre du iugement, de l'auoir lente et posée.
Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer, et1
celuy aussi, à qui le loisir ne donne aduantage de mieux dire, ils
sont en pareil degré d'estrangeté.On recite de Seuerus Cassius,
qu'il disoit mieux sans y auoir pensé: qu'il deuoit plus à la fortune
qu'à sa diligence; qu'il luy venoit à proufit d'estre troublé
en parlant: et que ses aduersaires craignoyent de le picquer, de•
peur que la colere ne luy fist redoubler son eloquence.Ie cognois
par experience cette condition de nature, qui ne peut soustenir
vne vehemente premeditation et laborieuse: si elle ne va gayement
et librement, elle ne va rien qui vaille.Nous disons d'aucuns
ouurages qu'ils puent à l'huyle et à la lampe, pour certaine aspreté2
et rudesse, que le trauail imprime en ceux où il a grande part.
Mais outre cela, la solicitude de bien faire, et cette contention de
l'ame trop bandée et trop tendue à son entreprise, la rompt et
l'empesche, ainsi qu'il aduient à l'eau, qui par force de se presser
de sa violence et abondance, ne peut trouuer yssue en vn goulet•
ouuert.En cette condition de nature, dequoy ie parle, il y a
quant et quant aussi cela, qu'elle demande à estre non pas esbranlée
et picquée par ces passions fortes, comme la colere de
Cassius, car ce mouuement seroit trop aspre: elle veut estre non
pas secoüée, mais sollicitée: elle veut estre eschauffée et resueillée3
par les occasions estrangeres, presentes et fortuites.Si elle va toute
seule, elle ne fait que trainer et languir: l'agitation est sa vie et
sa grace.Ie ne me tiens pas bien en ma possession et disposition:
le hazard y a plus de droit que moy: l'occasion, la compaignie,
le branle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que ie n'y•
trouue lors que ie le sonde et employe à part moy.Ainsi les
paroles en valent mieux que les escrits, s'il y peut auoir chois
où il n'y a point de prix.Cecy m'aduient aussi, que ie ne me
trouue pas où ie me cherche: et me trouue plus par rencontre,
que par l'inquisition de mon iugement.I'auray eslancé quelque
subtilité en escriuant. I'entens bien, mornée pour vn autre, affilée
pour moy.Laissons toutes ces honnestetez.Cela se dit par chacun
selon sa force.Ie l'ay si bien perdue que ie ne sçay ce que i'ay•
voulu dire: et l'a l'estranger descouuerte par fois auant moy.Si ie
portoy le rasoir par tout où cela m'aduient, ie me desferoy tout.Le
rencontre m'en offrira le iour quelque autre fois, plus apparent
que celuy du midy: et me fera estonner de ma hesitation.
Aussi voyons nous qu'au don d'eloquence, les vns ont la facilité
et la promptitude, et ce qu'on dit, le boutehors si aisé, qu'à chasque1
bout de champ ils sont prests: les autres plus tardifs ne parlent
iamais rien qu'elabouré et premedité.Comme on donne des regles
aux dames de prendre les ieux et les exercices du corps, selon l'auantage
de ce qu'elles ont le plus beau.Si i'auois à conseiller de
mesmes, en ces deux diuers aduantages de l'eloquence, de laquelle•
il semble en nostre siecle, que les Prescheurs et les Aduocats facent
principalle profession, le tardif seroit mieux Prescheur, ce me semble,
et l'autre mieux Aduocat: par ce que la charge de celuy-là luy
donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer; et puis sa
carriere se passe d'vn fil et d'vne suite, sans interruption: là où2
les commoditez de l'Aduocat le pressent à toute heure de se mettre
en lice: et les responces improuueuës de sa partie aduerse, le reiettent
de son branle, où il luy faut sur le champ prendre nouueau
party.Si est-ce qu'à l'entreueuë du Pape Clement et du Roy François
à Marseille, il aduint tout au rebours, que Monsieur Poyet,•
homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant
charge de faire la harangue au Pape, et l'ayant de longue main
pourpensee, voire, à ce qu'on dict, apportée de Paris toute preste,
le iour mesme qu'elle deuoit estre prononcée, le Pape se craignant
qu'on luy tinst propos qui peust offenser les Ambassadeurs des3
autres Princes qui estoyent autour de luy, manda au Roy l'argument
qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu,
mais de fortune, tout autre que celuy, sur lequel Monsieur Poyet
s'estoit trauaillé: de façon que sa harengue demeuroit inutile, et
luy en falloit promptement refaire vne autre.Mais s'en sentant
incapable, il fallut que Monsieur le Cardinal du Bellay en prinst
la charge.La part de l'Aduocat est plus difficile que celle du Prescheur:•
et nous trouuons pourtant ce m'est aduis plus de passables
Aduocats que Prescheurs, au moins en France.Il semble que
ce soit plus le propre de l'esprit, d'auoir son operation prompte
et soudaine, et plus le propre du iugement, de l'auoir lente et posée.
Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer, et1
celuy aussi, à qui le loisir ne donne aduantage de mieux dire, ils
sont en pareil degré d'estrangeté.On recite de Seuerus Cassius,
qu'il disoit mieux sans y auoir pensé: qu'il deuoit plus à la fortune
qu'à sa diligence; qu'il luy venoit à proufit d'estre troublé
en parlant: et que ses aduersaires craignoyent de le picquer, de•
peur que la colere ne luy fist redoubler son eloquence.Ie cognois
par experience cette condition de nature, qui ne peut soustenir
vne vehemente premeditation et laborieuse: si elle ne va gayement
et librement, elle ne va rien qui vaille.Nous disons d'aucuns
ouurages qu'ils puent à l'huyle et à la lampe, pour certaine aspreté2
et rudesse, que le trauail imprime en ceux où il a grande part.
Mais outre cela, la solicitude de bien faire, et cette contention de
l'ame trop bandée et trop tendue à son entreprise, la rompt et
l'empesche, ainsi qu'il aduient à l'eau, qui par force de se presser
de sa violence et abondance, ne peut trouuer yssue en vn goulet•
ouuert.En cette condition de nature, dequoy ie parle, il y a
quant et quant aussi cela, qu'elle demande à estre non pas esbranlée
et picquée par ces passions fortes, comme la colere de
Cassius, car ce mouuement seroit trop aspre: elle veut estre non
pas secoüée, mais sollicitée: elle veut estre eschauffée et resueillée3
par les occasions estrangeres, presentes et fortuites.Si elle va toute
seule, elle ne fait que trainer et languir: l'agitation est sa vie et
sa grace.Ie ne me tiens pas bien en ma possession et disposition:
le hazard y a plus de droit que moy: l'occasion, la compaignie,
le branle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que ie n'y•
trouue lors que ie le sonde et employe à part moy.Ainsi les
paroles en valent mieux que les escrits, s'il y peut auoir chois
où il n'y a point de prix.Cecy m'aduient aussi, que ie ne me
trouue pas où ie me cherche: et me trouue plus par rencontre,
que par l'inquisition de mon iugement.I'auray eslancé quelque
subtilité en escriuant. I'entens bien, mornée pour vn autre, affilée
pour moy.Laissons toutes ces honnestetez.Cela se dit par chacun
selon sa force.Ie l'ay si bien perdue que ie ne sçay ce que i'ay•
voulu dire: et l'a l'estranger descouuerte par fois auant moy.Si ie
portoy le rasoir par tout où cela m'aduient, ie me desferoy tout.Le
rencontre m'en offrira le iour quelque autre fois, plus apparent
que celuy du midy: et me fera estonner de ma hesitation.
CHAPITRE XI. (TRADUCTION LIV.I, CH.XI.)
Des prognostications.
QVANT aux oracles, il est certain que bonne piece auant la venue1
de Iesus Christ, ils auoyent commencé à perdre leur credit: car
nous voyons que Cicero se met en peine de trouuer la cause de
leur defaillance. Et ces mots sont à luy: Cur isto modo iam oracula
Delphis non eduntur, non modò nostra ætate, sed iamdiu, vt nihil
possit esse contemptius? Mais quant aux autres prognostiques, qui se•
tiroyent de l'anatomie des bestes aux sacrifices, ausquels Platon attribue
en partie la constitution naturelle des membres internes
d'icelles, du trepignement des poulets, du vol des oyseaux, Aues
quasdam rerum augurandarum causa natas esse putamus, des fouldres,
du tournoyement des riuieres, Multa cernunt aruspices: multa2
augures prouident: multa oraculis declarantur: multa vaticinationibus:
multa somniis: multa portentis, et autres sur lesquels l'ancienneté
appuyoit la pluspart des entreprises, tant publicques que
priuées; nostre Religion les a abolies.Et encore qu'il reste entre
nous quelques moyens de diuination és astres, és esprits, és figures•
du corps, és songes, et ailleurs: notable exemple de la forcenée
curiosité de nostre nature, s'amusant à preoccuper les choses futures,
comme si elle n'auoit pas assez affaire à digerer les presentes:
cur hanc tibi rector Olympi
Sollicitis visum mortalibus addere curam,
Noscant venturas vt dira per omina clades?
Sit subitum quodcunque paras, sit cæca futuri
Mens hominum fati, liceat sperare timenti:•
de Iesus Christ, ils auoyent commencé à perdre leur credit: car
nous voyons que Cicero se met en peine de trouuer la cause de
leur defaillance. Et ces mots sont à luy: Cur isto modo iam oracula
Delphis non eduntur, non modò nostra ætate, sed iamdiu, vt nihil
possit esse contemptius? Mais quant aux autres prognostiques, qui se•
tiroyent de l'anatomie des bestes aux sacrifices, ausquels Platon attribue
en partie la constitution naturelle des membres internes
d'icelles, du trepignement des poulets, du vol des oyseaux, Aues
quasdam rerum augurandarum causa natas esse putamus, des fouldres,
du tournoyement des riuieres, Multa cernunt aruspices: multa2
augures prouident: multa oraculis declarantur: multa vaticinationibus:
multa somniis: multa portentis, et autres sur lesquels l'ancienneté
appuyoit la pluspart des entreprises, tant publicques que
priuées; nostre Religion les a abolies.Et encore qu'il reste entre
nous quelques moyens de diuination és astres, és esprits, és figures•
du corps, és songes, et ailleurs: notable exemple de la forcenée
curiosité de nostre nature, s'amusant à preoccuper les choses futures,
comme si elle n'auoit pas assez affaire à digerer les presentes:
cur hanc tibi rector Olympi
Sollicitis visum mortalibus addere curam,
Noscant venturas vt dira per omina clades?
Sit subitum quodcunque paras, sit cæca futuri
Mens hominum fati, liceat sperare timenti:•
Ne vtile quidem est scire quid futurum sit: Miserum est enim nihil
proficientem angi: si est-ce qu'elle est de beaucoup moindre auctorité.
Voylà pourquoy l'exemple de François Marquis de Sallusse
m'a semblé remerquable: car Lieutenant du Roy François en son
armée delà les monts, infiniment fauorisé de nostre cour, et obligé1
au Roy du Marquisat mesmes, qui auoit esté confisqué de son frere:
au reste ne se presentant occasion de le faire, son affection mesme
y contredisant, se laissa si fort espouuanter, comme il a esté adueré,
aux belles prognostications qu'on faisoit lors courir de tous costez
à l'aduantage de l'Empereur Charles cinquiesme, et à nostre desauantage•
(mesmes en Italie, où ces folles propheties auoyent
trouué tant de place, qu'à Rome fut baillée grande somme d'argent
au change, pour cette opinion de nostre ruine) qu'apres s'estre
souuent condolu à ses priuez, des maux qu'il voyoit ineuitablement
preparez à la couronne de France, et aux amis qu'il y auoit, se2
reuolta, et changea de party: à son grand dommage pourtant,
quelque constellation qu'il y eust.Mais il s'y conduisit en homme
combatu de diuerses passions: car ayant et villes et forces en sa
main, l'armee ennemie soubs Antoine de Leue à trois pas de luy, et
nous sans soupçon de son faict, il estoit en luy de faire pis qu'il ne•
fit.Car pour sa trahison nous ne perdismes ny homme, ny ville que
Fossan: encore apres l'auoir long temps contestee.
Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus,
Ridétque si mortalis vltra3
Fas trepidat.
Ille potens sui
Lætúsque deget, cui licet in diem
Dixisse, vixi; cras vel atra
Nube polum pater occupato,•
Vel sole puro.
Lætus in præsens animus, quod vltra est,
Oderit curare.
proficientem angi: si est-ce qu'elle est de beaucoup moindre auctorité.
Voylà pourquoy l'exemple de François Marquis de Sallusse
m'a semblé remerquable: car Lieutenant du Roy François en son
armée delà les monts, infiniment fauorisé de nostre cour, et obligé1
au Roy du Marquisat mesmes, qui auoit esté confisqué de son frere:
au reste ne se presentant occasion de le faire, son affection mesme
y contredisant, se laissa si fort espouuanter, comme il a esté adueré,
aux belles prognostications qu'on faisoit lors courir de tous costez
à l'aduantage de l'Empereur Charles cinquiesme, et à nostre desauantage•
(mesmes en Italie, où ces folles propheties auoyent
trouué tant de place, qu'à Rome fut baillée grande somme d'argent
au change, pour cette opinion de nostre ruine) qu'apres s'estre
souuent condolu à ses priuez, des maux qu'il voyoit ineuitablement
preparez à la couronne de France, et aux amis qu'il y auoit, se2
reuolta, et changea de party: à son grand dommage pourtant,
quelque constellation qu'il y eust.Mais il s'y conduisit en homme
combatu de diuerses passions: car ayant et villes et forces en sa
main, l'armee ennemie soubs Antoine de Leue à trois pas de luy, et
nous sans soupçon de son faict, il estoit en luy de faire pis qu'il ne•
fit.Car pour sa trahison nous ne perdismes ny homme, ny ville que
Fossan: encore apres l'auoir long temps contestee.
Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus,
Ridétque si mortalis vltra3
Fas trepidat.
Ille potens sui
Lætúsque deget, cui licet in diem
Dixisse, vixi; cras vel atra
Nube polum pater occupato,•
Vel sole puro.
Lætus in præsens animus, quod vltra est,
Oderit curare.
Et ceux qui croyent ce mot au contraire, le croyent à tort. Ista
sic reciprocantur, vt et si diuinatio sit, dij sint: et si dij sint, sit4
diuinatio. Beaucoup plus sagement Pacuuius,
Nam istis qui linguam auium intelligunt,
Plúsque ex alieno iecore sapiunt, quàm ex suo,
Magis audiendum quàm auscultandum censeo.
sic reciprocantur, vt et si diuinatio sit, dij sint: et si dij sint, sit4
diuinatio. Beaucoup plus sagement Pacuuius,
Nam istis qui linguam auium intelligunt,
Plúsque ex alieno iecore sapiunt, quàm ex suo,
Magis audiendum quàm auscultandum censeo.
Cette tant celebree art de deuiner des Toscans nasquit ainsin.Vn•
laboureur perçant de son coultre profondement la terre, en veid
sourdre Tages demi-dieu, d'vn visage enfantin, mais de senile prudence.
Chacun y accourut, et furent ses paroles et science recueillie
et conseruee à plusieurs siecles, contenant les principes et moyens
de cette art.Naissance conforme à son progrez.I'aymerois bien
mieux regler mes affaires par le sort des dez que par ces songes.
Et de vray en toutes republiques on a tousiours laissé bonne part
d'auctorité au sort.Platon en la police qu'il forge à discretion, luy
attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et veut entre•
autres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons.
Et donne si grand poids à cette election fortuite, que les enfans qui
en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au païs: ceux qui naissent
des mauuais, en soyent mis hors: toutesfois si quelqu'vn de
ces bannis venoit par cas d'aduenture à montrer en croissant1
quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller, et exiler
aussi celuy d'entre les retenus, qui montrera peu d'esperance de son
adolescence.I'en voy qui estudient et glosent leurs Almanacs, et
nous en alleguent l'authorité aux choses qui se passent.A tant dire,
il faut qu'ils dient et la verité et le mensonge. Quis est enim, qui•
totum diem iaculans, non aliquando conlineet? Ie ne les estime de
rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre.Ce seroit
plus de certitude s'il y auoit regle et verité à mentir tousiours.Ioint
que personne ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils
sont ordinaires et infinis: et fait-on valoir leurs diuinations de ce2
qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses.Ainsi respondit
Diagoras, qui fut surnommé l'Athee, estant en la Samothrace, à
celuy qui en luy montrant au Temple force vœuz et tableaux de
ceux qui auoyent eschapé le naufrage, luy dit: Et bien vous, qui
pensez que les Dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que•
dittes vous de tant d'hommes sauuez par leur grace?Il se fait ainsi,
respondit-il: ceux là ne sont pas peints qui sont demeurez noyez,
en bien plus grand nombre.Cicero dit, que le seul Xenophanes
Colophonien entre tous les Philosophes, qui ont aduoué les Dieux, a
essayé de desraciner toute sorte de diuination.D'autant est-il moins3
de merueille, si nous auons veu par fois à leur dommage, aucunes
de nos ames principesques s'arrester à ces vanitez.Ie voudrois bien
auoir reconnu de mes yeux ces deux merueilles, du liure de Ioachim
Abbé Calabrois, qui predisoit tous les Papes futurs; leurs
noms et formes; et celuy de Leon l'Empereur qui predisoit les Empereurs•
et Patriarches de Grece.Cecy ay-ie reconnu de mes yeux,
qu'és confusions publiques, les hommes estonnez de leur fortune,
se vont reiettant, comme à toute superstition, à rechercher au ciel
les causes et menaces anciennes de leur malheur: et y sont si estrangement
heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé, qu'ainsi
que c'est vn amusement d'esprits aiguz et oisifs, ceux qui sont
duicts à ceste subtilité de les replier et desnouër, seroyent en tous•
escrits capables de trouuer tout ce qu'ils y demandent.Mais sur
tout leur preste beau ieu, le parler obscur, ambigu et fantastique
du iargon prophetique, auquel leurs autheurs ne donnent aucun
sens clair, afin que la posterité y en puisse appliquer de tel qu'il
luy plaira.Le demon de Socrates estoit à l'aduanture certaine1
impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son
discours.En vne ame bien espuree, comme la sienne, et preparee
par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblable
que ces inclinations, quoy que temeraires et indigestes, estoyent
tousiours importantes et dignes d'estre suiuies.Chacun sent en soy•
quelque image de telles agitations d'vne opinion prompte, vehemente
et fortuite.C'est à moy de leur donner quelque authorité,
qui en donne si peu à nostre prudence.Et en ay eu de pareillement
foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion,
qui estoit plus ordinaire à Socrates, ausquelles ie me2
laissay emporter si vtilement et heureusement, qu'elles pourroyent
estre iugees tenir quelque chose d'inspiration diuine.
laboureur perçant de son coultre profondement la terre, en veid
sourdre Tages demi-dieu, d'vn visage enfantin, mais de senile prudence.
Chacun y accourut, et furent ses paroles et science recueillie
et conseruee à plusieurs siecles, contenant les principes et moyens
de cette art.Naissance conforme à son progrez.I'aymerois bien
mieux regler mes affaires par le sort des dez que par ces songes.
Et de vray en toutes republiques on a tousiours laissé bonne part
d'auctorité au sort.Platon en la police qu'il forge à discretion, luy
attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et veut entre•
autres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons.
Et donne si grand poids à cette election fortuite, que les enfans qui
en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au païs: ceux qui naissent
des mauuais, en soyent mis hors: toutesfois si quelqu'vn de
ces bannis venoit par cas d'aduenture à montrer en croissant1
quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller, et exiler
aussi celuy d'entre les retenus, qui montrera peu d'esperance de son
adolescence.I'en voy qui estudient et glosent leurs Almanacs, et
nous en alleguent l'authorité aux choses qui se passent.A tant dire,
il faut qu'ils dient et la verité et le mensonge. Quis est enim, qui•
totum diem iaculans, non aliquando conlineet? Ie ne les estime de
rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre.Ce seroit
plus de certitude s'il y auoit regle et verité à mentir tousiours.Ioint
que personne ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils
sont ordinaires et infinis: et fait-on valoir leurs diuinations de ce2
qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses.Ainsi respondit
Diagoras, qui fut surnommé l'Athee, estant en la Samothrace, à
celuy qui en luy montrant au Temple force vœuz et tableaux de
ceux qui auoyent eschapé le naufrage, luy dit: Et bien vous, qui
pensez que les Dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que•
dittes vous de tant d'hommes sauuez par leur grace?Il se fait ainsi,
respondit-il: ceux là ne sont pas peints qui sont demeurez noyez,
en bien plus grand nombre.Cicero dit, que le seul Xenophanes
Colophonien entre tous les Philosophes, qui ont aduoué les Dieux, a
essayé de desraciner toute sorte de diuination.D'autant est-il moins3
de merueille, si nous auons veu par fois à leur dommage, aucunes
de nos ames principesques s'arrester à ces vanitez.Ie voudrois bien
auoir reconnu de mes yeux ces deux merueilles, du liure de Ioachim
Abbé Calabrois, qui predisoit tous les Papes futurs; leurs
noms et formes; et celuy de Leon l'Empereur qui predisoit les Empereurs•
et Patriarches de Grece.Cecy ay-ie reconnu de mes yeux,
qu'és confusions publiques, les hommes estonnez de leur fortune,
se vont reiettant, comme à toute superstition, à rechercher au ciel
les causes et menaces anciennes de leur malheur: et y sont si estrangement
heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé, qu'ainsi
que c'est vn amusement d'esprits aiguz et oisifs, ceux qui sont
duicts à ceste subtilité de les replier et desnouër, seroyent en tous•
escrits capables de trouuer tout ce qu'ils y demandent.Mais sur
tout leur preste beau ieu, le parler obscur, ambigu et fantastique
du iargon prophetique, auquel leurs autheurs ne donnent aucun
sens clair, afin que la posterité y en puisse appliquer de tel qu'il
luy plaira.Le demon de Socrates estoit à l'aduanture certaine1
impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son
discours.En vne ame bien espuree, comme la sienne, et preparee
par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblable
que ces inclinations, quoy que temeraires et indigestes, estoyent
tousiours importantes et dignes d'estre suiuies.Chacun sent en soy•
quelque image de telles agitations d'vne opinion prompte, vehemente
et fortuite.C'est à moy de leur donner quelque authorité,
qui en donne si peu à nostre prudence.Et en ay eu de pareillement
foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion,
qui estoit plus ordinaire à Socrates, ausquelles ie me2
laissay emporter si vtilement et heureusement, qu'elles pourroyent
estre iugees tenir quelque chose d'inspiration diuine.
CHAPITRE XII. (TRADUCTION LIV.I, CH.XII.)
De la constance.
LA loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous
ne nous deuions couurir, autant qu'il est en nostre puissance,
des maux et inconueniens qui nous menassent, ny par consequent•
d'auoir peur qu'ils nous surpreignent.Au rebours, tous moyens
honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis,
mais louables.Et le ieu de la constance se iouë principalement à
porter de pied ferme, les inconueniens où il n'y a point de remede.
De maniere qu'il n'y a soupplesse de corps, ny mouuement aux armes3
de main, que nous trouuions mauuais, s'il sert à nous garantir du
coup qu'on nous rue.Plusieurs nations tresbelliqueuses se seruoyent
en leurs faits d'armes, de la fuite, pour aduantage principal,
et montroyent le dos à l'ennemy plus dangereusement que leur
visage.Les Turcs en retiennent quelque chose.Et Socrates en Platon
se mocque de Laches, qui auoit definy la fortitude, se tenir
ferme en son reng contre les ennemis.Quoy, feit-il, seroit ce donc•
lascheté de les battre en leur faisant place?Et luy allegue Homere,
qui louë en Æneas la science de fuir.Et par ce que Laches se
r'aduisant, aduouë cet vsage aux Scythes, et en fin generallement
à tous gens de cheual: il luy allegue encore l'exemple des gens de
pied Lacedemoniens (nation sur toutes duitte à combatre de pied1
ferme) qui en la iournee de Platees, ne pouuant ouurir la phalange
Persienne, s'aduiserent de s'escarter et sier arriere: pour, par
l'opinion de leur fuitte, faire rompre et dissoudre cette masse, en
les poursuiuant.Par où ils se donnerent la victoire.Touchant les
Scythes, on dit d'eux, quand Darius alla pour les subiuger, qu'il•
manda à leur Roy force reproches, pour le voir tousiours reculant
deuant luy, et gauchissant la meslee.A quoy Indathyrsez, car
ainsi se nommoit-il, fit responce, que ce n'estoit pour auoir peur de
luy, ny d'homme viuant: mais que c'estoit la façon de marcher
de sa nation: n'ayant ny terre cultiuee, ny ville, ny maison à deffendre,2
et à craindre que l'ennemy en peust faire profit.Mais s'il
auoit si grand faim d'en manger, qu'il approchast pour voir le lieu
de leurs anciennes sepultures, et que là il trouueroit à qui parler
tout son saoul.Toutes-fois aux canonnades, depuis qu'on leur est
planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souuent,•
il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup: d'autant
que par sa violence et vitesse nous le tenons ineuitable: et en y
a meint vn qui pour auoir ou haussé la main, ou baissé la teste, en
a pour le moins appresté à rire à ses compagnons.Si est-ce qu'au
voyage que l'Empereur Charles cinquiesme fit contre nous en3
Prouence, le Marquis de Guast estant allé recognoistre la ville
d'Arle, et s'estant ietté hors du couuert d'vn moulin à vent, à la
faueur duquel il s'estoit approché, fut apperceu par les Seigneurs
de Bonneual et Seneschal d'Agenois, qui se promenoyent sus le
theatre aux arenes: lesquels l'ayant montré au Seigneur de Villiers•
Commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos vne couleurine,
que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança à
quartier, il fut tenu qu'il en auoit dans le corps.Et de mesmes
quelques annees auparavant, Laurent de Medicis, Duc d'Vrbin,
pere de la Royne, mere du Roy, assiegeant Mondolphe, place
d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu
à vne piece qui le regardoit, bien luy seruit de faire la cane: car
autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la teste, luy
donnoit sans doute dans l'estomach.Pour en dire le vray, ie ne•
croy pas que ces mouuements se fissent auecques discours: car
quel iugement pouuez-vous faire de la mire haute ou basse en
chose si soudaine?et est bien plus aisé à croire, que la fortune
fauorisa leur frayeur: et que ce seroit moyen vne autre fois aussi
bien pour se ietter dans le coup, que pour l'euiter.Ie ne me puis1
deffendre si le bruit esclatant d'vne harquebusade vient à me fraper
les oreilles à l'improuueu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre,
que ie n'en tressaille: ce que i'ay veu encores aduenir à d'autres
qui valent mieux que moy.Ny n'entendent les Stoiciens, que l'ame
de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantaisies qui•
luy suruiennent: ains comme à vne subiection naturelle consentent
qu'il cede au grand bruit du ciel, ou d'vne ruine, pour exemple,
iusques à la palleur et contraction: ainsin aux autres passions,
pourueu que son opinion demeure sauue et entiere, et que l'assiette
de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et2
qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance.De
celuy, qui n'est pas sage, il en va de mesmes en la premiere
partie, mais tout autrement en la seconde.Car l'impression des
passions ne demeure pas en luy superficielle: ains va penetrant
iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant.Il•
iuge selon icelles, et s'y conforme.Voyez bien disertement et plainement
l'estat du sage Stoique:
Mens immota manet, lacrymæ voluuntur inanes.
Le sage Peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il
les modere.3
ne nous deuions couurir, autant qu'il est en nostre puissance,
des maux et inconueniens qui nous menassent, ny par consequent•
d'auoir peur qu'ils nous surpreignent.Au rebours, tous moyens
honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis,
mais louables.Et le ieu de la constance se iouë principalement à
porter de pied ferme, les inconueniens où il n'y a point de remede.
De maniere qu'il n'y a soupplesse de corps, ny mouuement aux armes3
de main, que nous trouuions mauuais, s'il sert à nous garantir du
coup qu'on nous rue.Plusieurs nations tresbelliqueuses se seruoyent
en leurs faits d'armes, de la fuite, pour aduantage principal,
et montroyent le dos à l'ennemy plus dangereusement que leur
visage.Les Turcs en retiennent quelque chose.Et Socrates en Platon
se mocque de Laches, qui auoit definy la fortitude, se tenir
ferme en son reng contre les ennemis.Quoy, feit-il, seroit ce donc•
lascheté de les battre en leur faisant place?Et luy allegue Homere,
qui louë en Æneas la science de fuir.Et par ce que Laches se
r'aduisant, aduouë cet vsage aux Scythes, et en fin generallement
à tous gens de cheual: il luy allegue encore l'exemple des gens de
pied Lacedemoniens (nation sur toutes duitte à combatre de pied1
ferme) qui en la iournee de Platees, ne pouuant ouurir la phalange
Persienne, s'aduiserent de s'escarter et sier arriere: pour, par
l'opinion de leur fuitte, faire rompre et dissoudre cette masse, en
les poursuiuant.Par où ils se donnerent la victoire.Touchant les
Scythes, on dit d'eux, quand Darius alla pour les subiuger, qu'il•
manda à leur Roy force reproches, pour le voir tousiours reculant
deuant luy, et gauchissant la meslee.A quoy Indathyrsez, car
ainsi se nommoit-il, fit responce, que ce n'estoit pour auoir peur de
luy, ny d'homme viuant: mais que c'estoit la façon de marcher
de sa nation: n'ayant ny terre cultiuee, ny ville, ny maison à deffendre,2
et à craindre que l'ennemy en peust faire profit.Mais s'il
auoit si grand faim d'en manger, qu'il approchast pour voir le lieu
de leurs anciennes sepultures, et que là il trouueroit à qui parler
tout son saoul.Toutes-fois aux canonnades, depuis qu'on leur est
planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souuent,•
il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup: d'autant
que par sa violence et vitesse nous le tenons ineuitable: et en y
a meint vn qui pour auoir ou haussé la main, ou baissé la teste, en
a pour le moins appresté à rire à ses compagnons.Si est-ce qu'au
voyage que l'Empereur Charles cinquiesme fit contre nous en3
Prouence, le Marquis de Guast estant allé recognoistre la ville
d'Arle, et s'estant ietté hors du couuert d'vn moulin à vent, à la
faueur duquel il s'estoit approché, fut apperceu par les Seigneurs
de Bonneual et Seneschal d'Agenois, qui se promenoyent sus le
theatre aux arenes: lesquels l'ayant montré au Seigneur de Villiers•
Commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos vne couleurine,
que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança à
quartier, il fut tenu qu'il en auoit dans le corps.Et de mesmes
quelques annees auparavant, Laurent de Medicis, Duc d'Vrbin,
pere de la Royne, mere du Roy, assiegeant Mondolphe, place
d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu
à vne piece qui le regardoit, bien luy seruit de faire la cane: car
autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la teste, luy
donnoit sans doute dans l'estomach.Pour en dire le vray, ie ne•
croy pas que ces mouuements se fissent auecques discours: car
quel iugement pouuez-vous faire de la mire haute ou basse en
chose si soudaine?et est bien plus aisé à croire, que la fortune
fauorisa leur frayeur: et que ce seroit moyen vne autre fois aussi
bien pour se ietter dans le coup, que pour l'euiter.Ie ne me puis1
deffendre si le bruit esclatant d'vne harquebusade vient à me fraper
les oreilles à l'improuueu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre,
que ie n'en tressaille: ce que i'ay veu encores aduenir à d'autres
qui valent mieux que moy.Ny n'entendent les Stoiciens, que l'ame
de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantaisies qui•
luy suruiennent: ains comme à vne subiection naturelle consentent
qu'il cede au grand bruit du ciel, ou d'vne ruine, pour exemple,
iusques à la palleur et contraction: ainsin aux autres passions,
pourueu que son opinion demeure sauue et entiere, et que l'assiette
de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et2
qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance.De
celuy, qui n'est pas sage, il en va de mesmes en la premiere
partie, mais tout autrement en la seconde.Car l'impression des
passions ne demeure pas en luy superficielle: ains va penetrant
iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant.Il•
iuge selon icelles, et s'y conforme.Voyez bien disertement et plainement
l'estat du sage Stoique:
Mens immota manet, lacrymæ voluuntur inanes.
Le sage Peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il
les modere.3
CHAPITRE XIII. (TRADUCTION LIV.I, CH.XIII.)
Ceremonie de l'entreueuë des rois.
IL n'est subiect si vain, qui ne merite vn rang en cette rapsodie.
A nos regles communes, ce seroit vne notable discourtoisie et à
l'endroit d'vn pareil, et plus à l'endroit d'vn grand, de faillir à vous
trouuer chez vous, quand il vous auroit aduerty d'y deuoir venir:
Voire adioustoit la Royne de Nauarre Marguerite à ce propos, que•
c'estoit inciuilité à vn Gentil-homme de partir de sa maison, comme
il se faict le plus souuent, pour aller au deuant de celuy qui le vient
trouuer, pour grand qu'il soit: et qu'il est plus respectueux et ciuil
de l'attendre, pour le receuoir, ne fust que de peur de faillir sa
route: et qu'il suffit de l'accompagner à son partement.Pour moy1
i'oublie souuent l'vn et l'autre de ces vains offices: comme ie retranche
en ma maison autant que ie puis de la cerimonie.Quelqu'vn
s'en offence: qu'y ferois-ie?Il vaut mieux que ie l'offence pour vne
fois, que moy tous les iours: ce seroit vne subiection continuelle.
A quoy faire fuit-on la seruitude des cours, si on l'entraine iusques•
en sa taniere?C'est aussi vne regle commune en toutes assemblees,
qu'il touche aux moindres de se trouuer les premiers à l'assignation,
d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre.
Toutesfois à l'entreueuë qui se dressa du Pape Clement, et
du Roy François à Marseille, le Roy y ayant ordonné les apprests2
necessaires, s'esloigna de la ville, et donna loisir au Pape de deux ou
trois iours pour son entree et refreschissement, auant qu'il le vinst
trouuer.Et de mesmes à l'entree aussi du Pape et de l'Empereur à
Bouloigne, l'Empereur donna moyen au Pape d'y estre le premier et
y suruint apres luy.C'est, disent-ils, vne cerimonie ordinaire aux•
abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit auant les autres
au lieu assigné, voire auant celuy chez qui se fait l'assemblee:
et le prennent de ce biais, que c'est afin que cette apparence tesmoigne,
que c'est le plus grand que les moindres vont trouuer, et
le recherchent, non pas luy eux.Non seulement chasque païs,3
mais chasque cité et chasque vacation a sa ciuilité particuliere.I'y
ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en
assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre
Françoise: et en tiendrois eschole.I'aime à les ensuiure, mais non
pas si couardement, que ma vie en demeure contraincte.Elles ont•
quelques formes penibles, lesquelles pourueu qu'on oublie par discretion,
non par erreur, on n'en a pas moins de grace.I'ay veu
souuent des hommes inciuils par trop de ciuilité, et importuns de
courtoisie.C'est au demeurant vne tres-vtile science que la
science de l'entregent.Elle est, comme la grace et la beauté, conciliatrice1
des premiers abords de la societé et familiarité: et par
consequent nous ouure la porte à nous instruire par les exemples
d'autruy, et à exploitter et produire nostre exemple, s'il a quelque
chose d'instruisant et communicable.
A nos regles communes, ce seroit vne notable discourtoisie et à
l'endroit d'vn pareil, et plus à l'endroit d'vn grand, de faillir à vous
trouuer chez vous, quand il vous auroit aduerty d'y deuoir venir:
Voire adioustoit la Royne de Nauarre Marguerite à ce propos, que•
c'estoit inciuilité à vn Gentil-homme de partir de sa maison, comme
il se faict le plus souuent, pour aller au deuant de celuy qui le vient
trouuer, pour grand qu'il soit: et qu'il est plus respectueux et ciuil
de l'attendre, pour le receuoir, ne fust que de peur de faillir sa
route: et qu'il suffit de l'accompagner à son partement.Pour moy1
i'oublie souuent l'vn et l'autre de ces vains offices: comme ie retranche
en ma maison autant que ie puis de la cerimonie.Quelqu'vn
s'en offence: qu'y ferois-ie?Il vaut mieux que ie l'offence pour vne
fois, que moy tous les iours: ce seroit vne subiection continuelle.
A quoy faire fuit-on la seruitude des cours, si on l'entraine iusques•
en sa taniere?C'est aussi vne regle commune en toutes assemblees,
qu'il touche aux moindres de se trouuer les premiers à l'assignation,
d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre.
Toutesfois à l'entreueuë qui se dressa du Pape Clement, et
du Roy François à Marseille, le Roy y ayant ordonné les apprests2
necessaires, s'esloigna de la ville, et donna loisir au Pape de deux ou
trois iours pour son entree et refreschissement, auant qu'il le vinst
trouuer.Et de mesmes à l'entree aussi du Pape et de l'Empereur à
Bouloigne, l'Empereur donna moyen au Pape d'y estre le premier et
y suruint apres luy.C'est, disent-ils, vne cerimonie ordinaire aux•
abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit auant les autres
au lieu assigné, voire auant celuy chez qui se fait l'assemblee:
et le prennent de ce biais, que c'est afin que cette apparence tesmoigne,
que c'est le plus grand que les moindres vont trouuer, et
le recherchent, non pas luy eux.Non seulement chasque païs,3
mais chasque cité et chasque vacation a sa ciuilité particuliere.I'y
ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en
assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre
Françoise: et en tiendrois eschole.I'aime à les ensuiure, mais non
pas si couardement, que ma vie en demeure contraincte.Elles ont•
quelques formes penibles, lesquelles pourueu qu'on oublie par discretion,
non par erreur, on n'en a pas moins de grace.I'ay veu
souuent des hommes inciuils par trop de ciuilité, et importuns de
courtoisie.C'est au demeurant vne tres-vtile science que la
science de l'entregent.Elle est, comme la grace et la beauté, conciliatrice1
des premiers abords de la societé et familiarité: et par
consequent nous ouure la porte à nous instruire par les exemples
d'autruy, et à exploitter et produire nostre exemple, s'il a quelque
chose d'instruisant et communicable.
CHAPITRE XIIII. (TRADUCTION LIV.I, CH.XIV.)
On est puny pour s'opiniastrer en vne place
sans raison.
LA vaillance a ses limites, comme les autres vertus: lesquels franchis,•
on se trouue dans le train du vice: en maniere que par
chez elle on se peut rendre à la temerité, obstination et folie, qui
n'en sçait bien les bornes, malaisez en verité à choisir sur leurs
confins.De cette consideration est nee la coustume que nous auons
aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opiniastrent à defendre2
vne place, qui par les regles militaires ne peut estre soustenue.
Autrement soubs l'esperance de l'impunité il n'y auroit
poullier qui n'arrestast vne armee.Monsieur le Connestable de
Mommorency au siege de Pauie, ayant esté commis pour passer
le Tesin, et se loger aux fauxbourgs S.Antoine, estant empesché•
d'vne tour au bout du pont, qui s'opiniastra iusques à se faire
batre, feit pendre tout ce qui estoit dedans: et encore depuis
accompagnant Monsieur le Dauphin au voyage delà les monts,
ayant prins par force le Chasteau de Villane, et tout ce qui estoit
dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis3
le Capitaine et l'enseigne, il les fit pendre et estrangler pour
cette mesme raison: comme fit aussi le Capitaine Martin du Bellay
lors Gouuerneur de Turin, en cette mesme contree, le Capitaine
de S.Bony: le reste de ses gens ayant esté massacré à la prinse
de la place.Mais d'autant que le iugement de la valeur et foiblesse•
du lieu, se prend par l'estimation et contrepois des forces
qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit iustement contre deux couleurines,
qui feroit l'enragé d'attendre trente canons) ou se met
encore en conte la grandeur du Prince conquerant, sa reputation,
le respect qu'on luy doit: il y a danger qu'on presse vn peu la1
balance de ce costé là.Et en aduient par ces mesmes termes,
que tels ont si grande opinion d'eux et de leurs moyens, que ne
leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste,
ilz passent le cousteau par tout où ils trouuent resistance, autant
que fortune leur dure: comme il se voit par les formes de sommation•
et deffi, que les Princes d'Orient et leurs successeurs, qui
sont encores, ont en vsage, fiere, hautaine et pleine d'vn commandement
barbaresque.Et au quartier par où les Portugaiz escornerent
les Indes, ils trouuerent des estats auec cette loy vniuerselle
et inuiolable, que tout ennemy vaincu par le Roy en presence, ou2
par son Lieutenant est hors de composition de rançon et de mercy.
on se trouue dans le train du vice: en maniere que par
chez elle on se peut rendre à la temerité, obstination et folie, qui
n'en sçait bien les bornes, malaisez en verité à choisir sur leurs
confins.De cette consideration est nee la coustume que nous auons
aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opiniastrent à defendre2
vne place, qui par les regles militaires ne peut estre soustenue.
Autrement soubs l'esperance de l'impunité il n'y auroit
poullier qui n'arrestast vne armee.Monsieur le Connestable de
Mommorency au siege de Pauie, ayant esté commis pour passer
le Tesin, et se loger aux fauxbourgs S.Antoine, estant empesché•
d'vne tour au bout du pont, qui s'opiniastra iusques à se faire
batre, feit pendre tout ce qui estoit dedans: et encore depuis
accompagnant Monsieur le Dauphin au voyage delà les monts,
ayant prins par force le Chasteau de Villane, et tout ce qui estoit
dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis3
le Capitaine et l'enseigne, il les fit pendre et estrangler pour
cette mesme raison: comme fit aussi le Capitaine Martin du Bellay
lors Gouuerneur de Turin, en cette mesme contree, le Capitaine
de S.Bony: le reste de ses gens ayant esté massacré à la prinse
de la place.Mais d'autant que le iugement de la valeur et foiblesse•
du lieu, se prend par l'estimation et contrepois des forces
qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit iustement contre deux couleurines,
qui feroit l'enragé d'attendre trente canons) ou se met
encore en conte la grandeur du Prince conquerant, sa reputation,
le respect qu'on luy doit: il y a danger qu'on presse vn peu la1
balance de ce costé là.Et en aduient par ces mesmes termes,
que tels ont si grande opinion d'eux et de leurs moyens, que ne
leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste,
ilz passent le cousteau par tout où ils trouuent resistance, autant
que fortune leur dure: comme il se voit par les formes de sommation•
et deffi, que les Princes d'Orient et leurs successeurs, qui
sont encores, ont en vsage, fiere, hautaine et pleine d'vn commandement
barbaresque.Et au quartier par où les Portugaiz escornerent
les Indes, ils trouuerent des estats auec cette loy vniuerselle
et inuiolable, que tout ennemy vaincu par le Roy en presence, ou2
par son Lieutenant est hors de composition de rançon et de mercy.
Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre les
mains d'vn Iuge ennemy, victorieux et armé.
mains d'vn Iuge ennemy, victorieux et armé.
CHAPITRE XV. (TRADUCTION LIV.I, CH.XV.)
De la punition de la couardise.
I'OVY autrefois tenir à vn Prince, et tresgrand Capitaine, que
pour lascheté de cœur vn soldat ne pouuoit estre condamné à•
mort: luy estant à table fait recit du proces du Seigneur de Veruins,
qui fut condamné à mort pour auoir rendu Bouloigne.A la
verité c'est raison qu'on face grande difference entre les fautes qui
viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice.
Car en celles icy nous nous sommes bandez à nostre escient
contre les regles de la raison, que nature a empreintes en nous: et
en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette•
mesme nature pour nous auoir laissé en telle imperfection et deffaillance.
De maniere que prou de gens ont pensé qu'on ne se
pouuoit prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre
conscience: et sur cette regle est en partie fondee l'opinion de
ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans:1
et celle qui establit qu'vn Aduocat et vn Iuge ne puissent
estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.
pour lascheté de cœur vn soldat ne pouuoit estre condamné à•
mort: luy estant à table fait recit du proces du Seigneur de Veruins,
qui fut condamné à mort pour auoir rendu Bouloigne.A la
verité c'est raison qu'on face grande difference entre les fautes qui
viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice.
Car en celles icy nous nous sommes bandez à nostre escient
contre les regles de la raison, que nature a empreintes en nous: et
en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette•
mesme nature pour nous auoir laissé en telle imperfection et deffaillance.
De maniere que prou de gens ont pensé qu'on ne se
pouuoit prendre à nous, que de ce que nous faisons contre nostre
conscience: et sur cette regle est en partie fondee l'opinion de
ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans:1
et celle qui establit qu'vn Aduocat et vn Iuge ne puissent
estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.
Mais quant à la coüardise, il est certain que la plus commune
façon est de la chastier par honte et ignominie.Et tient-on que
cette regle a esté premierement mise en vsage par le legislateur•
Charondas: et qu'auant luy les loix de Grece punissoyent de mort
ceux qui s'en estoyent fuis d'vne bataille: là où il ordonna seulement
qu'ils fussent par trois iours assis emmy la place publicque,
vestus de robe de femme: esperant encores s'en pouuoir seruir,
leur ayant fait reuenir le courage par cette honte. Suffundere malis2
hominis sanguinem quàm effundere. Il semble aussi que les loix
Romaines punissoyent anciennement de mort, ceux qui auoyent
fuy.Car Ammianus Marcellinus dit que l'Empereur Iulien condemna
dix de ses soldats, qui auoyent tourné le dos à vne charge
contre les Parthes, à estre degradez, et apres à souffrir mort,•
suyuant, dit-il, les loix anciennes.Toutes-fois ailleurs pour vne
pareille faute il en condemne d'autres, seulement à se tenir parmy
les prisonniers sous l'enseigne du bagage.L'aspre chastiement du
peuple Romain contre les soldats eschapez de Cannes, et en cette
mesme guerre, contre ceux qui accompaignerent Cn.Fuluius en sa3
deffaitte, ne vint pas à la mort.Si est-il à craindre que la honte les
desespere, et les rende non froids amis seulement, mais ennemis.
façon est de la chastier par honte et ignominie.Et tient-on que
cette regle a esté premierement mise en vsage par le legislateur•
Charondas: et qu'auant luy les loix de Grece punissoyent de mort
ceux qui s'en estoyent fuis d'vne bataille: là où il ordonna seulement
qu'ils fussent par trois iours assis emmy la place publicque,
vestus de robe de femme: esperant encores s'en pouuoir seruir,
leur ayant fait reuenir le courage par cette honte. Suffundere malis2
hominis sanguinem quàm effundere. Il semble aussi que les loix
Romaines punissoyent anciennement de mort, ceux qui auoyent
fuy.Car Ammianus Marcellinus dit que l'Empereur Iulien condemna
dix de ses soldats, qui auoyent tourné le dos à vne charge
contre les Parthes, à estre degradez, et apres à souffrir mort,•
suyuant, dit-il, les loix anciennes.Toutes-fois ailleurs pour vne
pareille faute il en condemne d'autres, seulement à se tenir parmy
les prisonniers sous l'enseigne du bagage.L'aspre chastiement du
peuple Romain contre les soldats eschapez de Cannes, et en cette
mesme guerre, contre ceux qui accompaignerent Cn.Fuluius en sa3
deffaitte, ne vint pas à la mort.Si est-il à craindre que la honte les
desespere, et les rende non froids amis seulement, mais ennemis.
Du temps de nos Peres le Seigneur de Franget, iadis Lieutenant
de la compaignie de Monsieur le Mareschal de Chastillon, ayant par
Monsieur le Mareschal de Chabannes esté mis Gouuerneur de Fontarabie•
au lieu de Monsieur du Lude, et l'ayant rendue aux Espagnols,
fut condamné à estre degradé de noblesse, et tant luy que
sa posterité declaré roturier, taillable et incapable de porter armes:
et fut cette rude sentence executee à Lyon.Depuis souffrirent
pareille punition tous les Gentils-hommes qui se trouuerent dans4
Guyse, lors que le Comte de Nansau y entra: et autres encore depuis.
Toutesfois quand il y auroit vne si grossiere et apparante ou
ignorance ou couardise, qu'elle surpassast toutes les ordinaires, ce
seroit raison de la prendre pour suffisante preuue de meschanceté
et de malice, et de la chastier pour telle.
de la compaignie de Monsieur le Mareschal de Chastillon, ayant par
Monsieur le Mareschal de Chabannes esté mis Gouuerneur de Fontarabie•
au lieu de Monsieur du Lude, et l'ayant rendue aux Espagnols,
fut condamné à estre degradé de noblesse, et tant luy que
sa posterité declaré roturier, taillable et incapable de porter armes:
et fut cette rude sentence executee à Lyon.Depuis souffrirent
pareille punition tous les Gentils-hommes qui se trouuerent dans4
Guyse, lors que le Comte de Nansau y entra: et autres encore depuis.
Toutesfois quand il y auroit vne si grossiere et apparante ou
ignorance ou couardise, qu'elle surpassast toutes les ordinaires, ce
seroit raison de la prendre pour suffisante preuue de meschanceté
et de malice, et de la chastier pour telle.
CHAPITRE XVI. (TRADUCTION LIV.I, CH.XVI.)
Vn traict de quelques ambassadeurs.
I'OBSERVE en mes voyages cette practique, pour apprendre tousiours•
quelque chose, par la communication d'autruy, qui est vne
des plus belles escholes qui puisse estre, de ramener tousiours ceux,
auec qui ie confere, aux propos des choses qu'ils sçauent le mieux.
Basti al nocchiero ragionar de' venti,
Al bifolco dei tori, et le sue piaghe1
Conti 'l guerrier, conti 'l pastor gli armenti.
Car il aduient le plus souuent au contraire, que chacun choisit
plustost à discourir du mestier d'vn autre que du sien: estimant
que c'est autant de nouuelle reputation acquise: tesmoing le reproche
qu'Archidamus feit à Periander, qu'il quittoit la gloire d'vn•
bon Medecin, pour acquerir celle de mauuais Poëte.Voyez combien
Cesar se desploye largement à nous faire entendre ses inuentions à
bastir ponts et engins: et combien au prix il va se serrant, où il
parle des offices de sa profession, de sa vaillance, et conduite de sa
milice.Ses exploicts le verifient assez Capitaine excellent: il se veut2
faire cognoistre excellent Ingenieur; qualité aucunement estrangere.
Le vieil Dionysius estoit tres grand chef de guerre, comme il
conuenoit à sa fortune: mais il se trauailloit à donner principale
recommendation de soy, par la poësie: et si n'y sçauoit guere.Vn
homme de vacation iuridique, mené ces iours passez voir vne•
estude fournie de toutes sortes de liures de son mestier, et de tout
autre mestier, n'y trouua nulle occasion de s'entretenir: mais il
s'arresta à gloser rudement et magistralement vne barricade logee
sur la vis de l'estude, que cent Capitaines et soldats recognoissent
tous les iours, sans remerque et sans offense.3
Optat ephippia bos piger, optat arare caballus.
Par ce train vous ne faictes iamais rien qui vaille.Ainsin, il faut
trauailler de reietter tousiours l'architecte, le peintre, le cordonnier,
et ainsi du reste chacun à son gibier.Et à ce propos, à la lecture
des histoires, qui est le subiet de toutes gens, i'ay accoustumé
de considerer qui en sont les escriuains: si ce sont personnes, qui
ne facent autre profession que de lettres, i'en apren principalement
le stile et le langage: si ce sont Medecins, ie les croy plus volontiers•
en ce qu'ils nous disent de la temperature de l'air, de la santé et
complexion des Princes, des blessures et maladies: si Iurisconsultes,
il en faut prendre les controuerses des droicts, les loix,
l'establissement des polices, et choses pareilles: si Theologiens, les
affaires de l'Eglise, censures Ecclesiastiques, dispences et mariages:1
si courtisans, les meurs et les cerimonies: si gens de guerre, ce
qui est de leur charge, et principalement les deductions des exploits
où ils se sont trouuez en personne: si Ambassadeurs, les menees,
intelligences, et praticques, et maniere de les conduire.A cette
cause, ce que i'eusse passé à vn autre, sans m'y arrester, ie l'ay•
poisé et remarqué en l'histoire du Seigneur de Langey, tres entendu
en telles choses.C'est qu'apres auoir conté ces belles remonstrances
de l'Empereur Charles cinquiesme, faictes au consistoire à Rome,
present l'Euesque de Macon, et le Seigneur du Velly nos Ambassadeurs,
où il auoit meslé plusieurs parolles outrageuses contre nous;2
et entre autres, que si ses Capitaines et soldats n'estoient d'autre
fidelité et suffisance en l'art militaire, que ceux du Roy, tout sur
l'heure il s'attacheroit la corde au col, pour luy aller demander misericorde.
Et de cecy il semble qu'il en creust quelque chose: car
deux ou trois fois en sa vie depuis il luy aduint de redire ces mesmes•
mots.Aussi qu'il défia le Roy de le combatre en chemise auec l'espee
et le poignard, dans vn batteau.Ledit Seigneur de Langey
suiuant son histoire, adiouste que lesdicts Ambassadeurs faisans vne
despesche au Roy de ces choses, luy en dissimulerent la plus grande
partie, mesmes luy celerent les deux articles precedens.Or i'ay3
trouué bien estrange, qu'il fust en la puissance d'vn Ambassadeur
de dispenser sur les aduertissemens qu'il doit faire à son maistre,
mesme de telle consequence, venant de telle personne, et dits en si
grand'assemblee.Et m'eust semblé l'office du seruiteur estre, de fidelement
representer les choses en leur entier, comme elles sont•
aduenuës: afin que la liberté d'ordonner, iuger, et choisir demeurast
au maistre.Car de luy alterer ou cacher la verité, de peur qu'il
ne la preigne autrement qu'il ne doit, et que cela ne le pousse à
quelque mauuais party, et ce pendant le laisser ignorant de ses
affaires, cela m'eust semblé appartenir à celuy, qui donne la loy,
non à celuy qui la reçoit, au curateur et maistre d'eschole, non à
celuy qui se doit penser inferieur, comme en authorité, aussi en•
prudence et bon conseil.Quoy qu'il en soit, ie ne voudroy pas estre
seruy de cette façon en mon petit faict.Nous nous soustrayons
si volontiers du commandement sous quelque pretexte, et vsurpons
sur la maistrise: chascun aspire si naturellement à la liberté et
authorité, qu'au superieur nulle vtilité ne doibt estre si chere, venant1
de ceux qui le seruent, comme luy doit estre chere leur simple
et naifue obeissance.On corrompt l'office du commander, quand
on y obeit par discretion, non par subiection.Et P.Crassus, celuy
que les Romains estimerent cinq fois heureux, lors qu'il estoit en
Asie Consul, ayant mandé à vn Ingenieur Grec, de luy faire mener•
le plus grand des deux mas de nauire, qu'il auoit veu à Athenes,
pour quelque engin de batterie, qu'il en vouloit faire: celuy cy
sous titre de sa science, se donna loy de choisir autrement, et mena
le plus petit, et selon la raison de art, le plus commode.Crassus,
ayant patiemment ouy ses raisons, luy feit tres-bien donner le fouet:2
estimant l'interest de la discipline plus que l'interest de l'ouurage.
quelque chose, par la communication d'autruy, qui est vne
des plus belles escholes qui puisse estre, de ramener tousiours ceux,
auec qui ie confere, aux propos des choses qu'ils sçauent le mieux.
Basti al nocchiero ragionar de' venti,
Al bifolco dei tori, et le sue piaghe1
Conti 'l guerrier, conti 'l pastor gli armenti.
Car il aduient le plus souuent au contraire, que chacun choisit
plustost à discourir du mestier d'vn autre que du sien: estimant
que c'est autant de nouuelle reputation acquise: tesmoing le reproche
qu'Archidamus feit à Periander, qu'il quittoit la gloire d'vn•
bon Medecin, pour acquerir celle de mauuais Poëte.Voyez combien
Cesar se desploye largement à nous faire entendre ses inuentions à
bastir ponts et engins: et combien au prix il va se serrant, où il
parle des offices de sa profession, de sa vaillance, et conduite de sa
milice.Ses exploicts le verifient assez Capitaine excellent: il se veut2
faire cognoistre excellent Ingenieur; qualité aucunement estrangere.
Le vieil Dionysius estoit tres grand chef de guerre, comme il
conuenoit à sa fortune: mais il se trauailloit à donner principale
recommendation de soy, par la poësie: et si n'y sçauoit guere.Vn
homme de vacation iuridique, mené ces iours passez voir vne•
estude fournie de toutes sortes de liures de son mestier, et de tout
autre mestier, n'y trouua nulle occasion de s'entretenir: mais il
s'arresta à gloser rudement et magistralement vne barricade logee
sur la vis de l'estude, que cent Capitaines et soldats recognoissent
tous les iours, sans remerque et sans offense.3
Optat ephippia bos piger, optat arare caballus.
Par ce train vous ne faictes iamais rien qui vaille.Ainsin, il faut
trauailler de reietter tousiours l'architecte, le peintre, le cordonnier,
et ainsi du reste chacun à son gibier.Et à ce propos, à la lecture
des histoires, qui est le subiet de toutes gens, i'ay accoustumé
de considerer qui en sont les escriuains: si ce sont personnes, qui
ne facent autre profession que de lettres, i'en apren principalement
le stile et le langage: si ce sont Medecins, ie les croy plus volontiers•
en ce qu'ils nous disent de la temperature de l'air, de la santé et
complexion des Princes, des blessures et maladies: si Iurisconsultes,
il en faut prendre les controuerses des droicts, les loix,
l'establissement des polices, et choses pareilles: si Theologiens, les
affaires de l'Eglise, censures Ecclesiastiques, dispences et mariages:1
si courtisans, les meurs et les cerimonies: si gens de guerre, ce
qui est de leur charge, et principalement les deductions des exploits
où ils se sont trouuez en personne: si Ambassadeurs, les menees,
intelligences, et praticques, et maniere de les conduire.A cette
cause, ce que i'eusse passé à vn autre, sans m'y arrester, ie l'ay•
poisé et remarqué en l'histoire du Seigneur de Langey, tres entendu
en telles choses.C'est qu'apres auoir conté ces belles remonstrances
de l'Empereur Charles cinquiesme, faictes au consistoire à Rome,
present l'Euesque de Macon, et le Seigneur du Velly nos Ambassadeurs,
où il auoit meslé plusieurs parolles outrageuses contre nous;2
et entre autres, que si ses Capitaines et soldats n'estoient d'autre
fidelité et suffisance en l'art militaire, que ceux du Roy, tout sur
l'heure il s'attacheroit la corde au col, pour luy aller demander misericorde.
Et de cecy il semble qu'il en creust quelque chose: car
deux ou trois fois en sa vie depuis il luy aduint de redire ces mesmes•
mots.Aussi qu'il défia le Roy de le combatre en chemise auec l'espee
et le poignard, dans vn batteau.Ledit Seigneur de Langey
suiuant son histoire, adiouste que lesdicts Ambassadeurs faisans vne
despesche au Roy de ces choses, luy en dissimulerent la plus grande
partie, mesmes luy celerent les deux articles precedens.Or i'ay3
trouué bien estrange, qu'il fust en la puissance d'vn Ambassadeur
de dispenser sur les aduertissemens qu'il doit faire à son maistre,
mesme de telle consequence, venant de telle personne, et dits en si
grand'assemblee.Et m'eust semblé l'office du seruiteur estre, de fidelement
representer les choses en leur entier, comme elles sont•
aduenuës: afin que la liberté d'ordonner, iuger, et choisir demeurast
au maistre.Car de luy alterer ou cacher la verité, de peur qu'il
ne la preigne autrement qu'il ne doit, et que cela ne le pousse à
quelque mauuais party, et ce pendant le laisser ignorant de ses
affaires, cela m'eust semblé appartenir à celuy, qui donne la loy,
non à celuy qui la reçoit, au curateur et maistre d'eschole, non à
celuy qui se doit penser inferieur, comme en authorité, aussi en•
prudence et bon conseil.Quoy qu'il en soit, ie ne voudroy pas estre
seruy de cette façon en mon petit faict.Nous nous soustrayons
si volontiers du commandement sous quelque pretexte, et vsurpons
sur la maistrise: chascun aspire si naturellement à la liberté et
authorité, qu'au superieur nulle vtilité ne doibt estre si chere, venant1
de ceux qui le seruent, comme luy doit estre chere leur simple
et naifue obeissance.On corrompt l'office du commander, quand
on y obeit par discretion, non par subiection.Et P.Crassus, celuy
que les Romains estimerent cinq fois heureux, lors qu'il estoit en
Asie Consul, ayant mandé à vn Ingenieur Grec, de luy faire mener•
le plus grand des deux mas de nauire, qu'il auoit veu à Athenes,
pour quelque engin de batterie, qu'il en vouloit faire: celuy cy
sous titre de sa science, se donna loy de choisir autrement, et mena
le plus petit, et selon la raison de art, le plus commode.Crassus,
ayant patiemment ouy ses raisons, luy feit tres-bien donner le fouet:2
estimant l'interest de la discipline plus que l'interest de l'ouurage.
D'autre part pourtant on pourroit aussi considerer, que cette
obeïssance si contreinte, n'appartient qu'aux commandements precis
et prefix.Les Ambassadeurs ont vne charge plus libre, qui en
plusieurs parties depend souuerainement de leur disposition.Ils•
n'executent pas simplement, mais forment aussi, et dressent par
leur conseil, la volonté du maistre.I'ay veu en mon temps des personnes
de commandement, reprins d'auoir plustost obey aux paroles
des lettres du Roy, qu'à l'occasion des affaires qui estoient pres
d'eux.Les hommes d'entendement accusent encore auiourd'huy,3
l'vsage des Roys de Perse, de tailler les morceaux si courts à leurs
agents et lieutenans, qu'aux moindres choses ils eussent à recourir
à leur ordonnance.Ce delay, en vne si longue estendue de domination,
ayant souuent apporté des notables dommages à leurs affaires.
Et Crassus, escriuant à vn homme du mestier, et luy donnant aduis•
de l'vsage auquel il destinoit ce mas, sembloit-il pas entrer en conference
de sa deliberation, et le conuier à interposer son decret?
obeïssance si contreinte, n'appartient qu'aux commandements precis
et prefix.Les Ambassadeurs ont vne charge plus libre, qui en
plusieurs parties depend souuerainement de leur disposition.Ils•
n'executent pas simplement, mais forment aussi, et dressent par
leur conseil, la volonté du maistre.I'ay veu en mon temps des personnes
de commandement, reprins d'auoir plustost obey aux paroles
des lettres du Roy, qu'à l'occasion des affaires qui estoient pres
d'eux.Les hommes d'entendement accusent encore auiourd'huy,3
l'vsage des Roys de Perse, de tailler les morceaux si courts à leurs
agents et lieutenans, qu'aux moindres choses ils eussent à recourir
à leur ordonnance.Ce delay, en vne si longue estendue de domination,
ayant souuent apporté des notables dommages à leurs affaires.
Et Crassus, escriuant à vn homme du mestier, et luy donnant aduis•
de l'vsage auquel il destinoit ce mas, sembloit-il pas entrer en conference
de sa deliberation, et le conuier à interposer son decret?
CHAPITRE XVII. (TRADUCTION LIV.I, CH.XVII.)
De la peur.
OBSTVPVI, steterúntque comæ, et vox faucibus hæsit.
Ie ne suis pas bon naturaliste (qu'ils disent) et ne sçai guiere
par quels ressors la peur agit en nous, mais tant y a que c'est vne
estrange passion: et disent les Medecins qu'il n'en est aucune, qui
emporte plustost nostre iugement hors de sa deuë assiete.De vray,•
i'ay veu beaucoup de gens deuenus insensez de peur: et au plus
rassis il est certain pendant que son accés dure, qu'elle engendre de
terribles esblouissemensIe laisse à part le vulgaire, à qui elle
represente tantost les bisayeulx sortis du tombeau enueloppez en
leur suaire, tantost des Loups-garoups, des Lutins, et des Chimeres.1
Mais parmy les soldats mesme, où elle deuroit trouuer moins de
place, combien de fois a elle changé vn troupeau de brebis en esquadron
de corselets?des roseaux et des cannes en gens-darmes et
lanciers?nos amis en nos ennemis?et la croix blanche à la rouge?
Lors que Monsieur de Bourbon print Rome, vn port'enseigne, qui•
estoit à la garde du bourg sainct Pierre, fut saisi de tel effroy à la
premiere alarme, que par le trou d'vne ruine il se ietta, l'enseigne
au poing, hors la ville droit aux ennemis, pensant tirer vers le dedans
de la ville; et à peine en fin voyant la troupe de Monsieur de
Bourbon se renger pour le soustenir, estimant que ce fust vne sortie2
que ceux de la ville fissent, il se recogneut, et tournant teste r'entra
par ce mesme trou, par lequel il estoit sorty, plus de trois cens pas
auant en la campaigne.Il n'en aduint pas du tout si heureusement à
l'enseigne du Capitaine Iulle, lors que Sainct Paul fut pris sur nous
par le Comte de Bures et Monsieur du Reu.Car estant si fort esperdu•
de frayeur, que de se ietter à tout son enseigne hors de la
ville, par vne canonniere, il fut mis en pieces par les assaillans.Et
au mesme siege, fut memorable la peur qui serra, saisit, et glaça
si fort le cœur d'vn Gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par
terre à la bresche, sans aucune blessure.Pareille rage pousse par3
fois toute vne multitude.En l'vne des rencontres de Germanicus
contre les Allemans, deux grosses trouppes prindrent d'effroy deux
routes opposites, l'vne fuyoit d'où l'autre partoit.Tantost elle nous
donne des aisles aux talons, comme aux deux premiers: tantost
elle nous cloüe les pieds, et les entraue: comme on lit de l'Empereur
Theophile, lequel en vne bataille qu'il perdit contre les Agarenes,
deuint si estonné et si transi, qu'il ne pouuoit prendre party•
de s'enfuyr: adeò pauor etiam auxilia formidat: iusques à ce que
Manuel l'vn des principaux chefs de son armee, l'ayant tirassé et
secoüé, comme pour l'esueiller d'vn profond somme, luy dit: Si
vous ne me suiuez ie vous tueray: car il vaut mieux que vous perdiez
la vie, que si estant prisonnier vous veniez à perdre l'Empire.1
Ie ne suis pas bon naturaliste (qu'ils disent) et ne sçai guiere
par quels ressors la peur agit en nous, mais tant y a que c'est vne
estrange passion: et disent les Medecins qu'il n'en est aucune, qui
emporte plustost nostre iugement hors de sa deuë assiete.De vray,•
i'ay veu beaucoup de gens deuenus insensez de peur: et au plus
rassis il est certain pendant que son accés dure, qu'elle engendre de
terribles esblouissemensIe laisse à part le vulgaire, à qui elle
represente tantost les bisayeulx sortis du tombeau enueloppez en
leur suaire, tantost des Loups-garoups, des Lutins, et des Chimeres.1
Mais parmy les soldats mesme, où elle deuroit trouuer moins de
place, combien de fois a elle changé vn troupeau de brebis en esquadron
de corselets?des roseaux et des cannes en gens-darmes et
lanciers?nos amis en nos ennemis?et la croix blanche à la rouge?
Lors que Monsieur de Bourbon print Rome, vn port'enseigne, qui•
estoit à la garde du bourg sainct Pierre, fut saisi de tel effroy à la
premiere alarme, que par le trou d'vne ruine il se ietta, l'enseigne
au poing, hors la ville droit aux ennemis, pensant tirer vers le dedans
de la ville; et à peine en fin voyant la troupe de Monsieur de
Bourbon se renger pour le soustenir, estimant que ce fust vne sortie2
que ceux de la ville fissent, il se recogneut, et tournant teste r'entra
par ce mesme trou, par lequel il estoit sorty, plus de trois cens pas
auant en la campaigne.Il n'en aduint pas du tout si heureusement à
l'enseigne du Capitaine Iulle, lors que Sainct Paul fut pris sur nous
par le Comte de Bures et Monsieur du Reu.Car estant si fort esperdu•
de frayeur, que de se ietter à tout son enseigne hors de la
ville, par vne canonniere, il fut mis en pieces par les assaillans.Et
au mesme siege, fut memorable la peur qui serra, saisit, et glaça
si fort le cœur d'vn Gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par
terre à la bresche, sans aucune blessure.Pareille rage pousse par3
fois toute vne multitude.En l'vne des rencontres de Germanicus
contre les Allemans, deux grosses trouppes prindrent d'effroy deux
routes opposites, l'vne fuyoit d'où l'autre partoit.Tantost elle nous
donne des aisles aux talons, comme aux deux premiers: tantost
elle nous cloüe les pieds, et les entraue: comme on lit de l'Empereur
Theophile, lequel en vne bataille qu'il perdit contre les Agarenes,
deuint si estonné et si transi, qu'il ne pouuoit prendre party•
de s'enfuyr: adeò pauor etiam auxilia formidat: iusques à ce que
Manuel l'vn des principaux chefs de son armee, l'ayant tirassé et
secoüé, comme pour l'esueiller d'vn profond somme, luy dit: Si
vous ne me suiuez ie vous tueray: car il vaut mieux que vous perdiez
la vie, que si estant prisonnier vous veniez à perdre l'Empire.1
Lors exprime elle sa derniere force, quand pour son seruice
elle nous reiette à la vaillance, qu'elle a soustraitte à nostre deuoir
et à nostre honneur.En la premiere iuste bataille que les Romains
perdirent contre Hannibal, sous le Consul Sempronius, vne troupe
de bien dix mille hommes de pied, qui print l'espouuante, ne voyant•
ailleurs par où faire passage à sa lascheté, s'alla ietter au trauers
le gros des ennemis: lequel elle perça d'un merueilleux effort,
auec grand meurtre de Carthaginois: achetant vne honteuse fuite,
au mesme prix qu'elle eust eu vne glorieuse victoire.C'est ce
dequoy i'ay le plus de peur que la peur.Aussi surmonte elle en2
aigreur tous autres accidents.Quelle affection peut estre plus
aspre et plus iuste, que celle des amis de Pompeius, qui estoient
en son nauire, spectateurs de cet horrible massacre?Si est-ce que
la peur des voiles Egyptiennes, qui commençoient à les approcher,
l'estouffa de maniere, qu'on a remerqué, qu'ils ne s'amuserent qu'à•
haster les mariniers de diligenter, et de se sauuer à coups d'auiron;
iusques à ce qu'arriuez à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy
de tourner leur pensee à la perte qu'ils venoient de faire, et lascher
la bride aux lamentations et aux larmes, que cette autre plus forte
passion auoit suspendües.3
Tum pauor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat.
Ceux qui auront esté bien frottés en quelque estour de guerre, tous
blessez encor et ensanglantez, on les rameine bien le lendemain à
la charge.Mais ceux qui ont conçeu quelque bonne peur des ennemis,
vous ne les leur feriez pas seulement regarder en face.Ceux•
qui sont en pressante crainte de perdre leur bien, d'estre exilez,
d'estre subiuguez, viuent en continuelle angoisse, en perdent le
boire, le manger, et le repos.Là où les pauures, les bannis, les
serfs, viuent souuent aussi ioyeusement que les autres.Et tant de
gens, qui de l'impatience des pointures de la peur, se sont pendus,
noyez, et precipitez, nous ont bien apprins qu'elle est encores plus
importune et plus insupportable que la mort.Les Grecs en recognoissent•
vne autre espece, qui est outre l'erreur de nostre discours:
venant, disent-ils, sans cause apparente, et d'vne impulsion
celeste.Des peuples entiers s'en voyent souuent frappez, et des
armees entieres.Telle fut celle qui apporta à Carthage vne merueilleuse
desolation.On n'y oyoit que cris et voix effrayees: on1
voyoit les habitans sortir de leurs maisons, comme à l'alarme;
et se charger, blesser et entretuer les vns les autres, comme si
ce fussent ennemis, qui vinssent à occuper leur ville.Tout y estoit
en desordre, et en fureur: iusques à ce que par oraisons et sacrifices,
ils eussent appaisé l'ire des dieux.Ils nomment cela terreurs•
Paniques.
elle nous reiette à la vaillance, qu'elle a soustraitte à nostre deuoir
et à nostre honneur.En la premiere iuste bataille que les Romains
perdirent contre Hannibal, sous le Consul Sempronius, vne troupe
de bien dix mille hommes de pied, qui print l'espouuante, ne voyant•
ailleurs par où faire passage à sa lascheté, s'alla ietter au trauers
le gros des ennemis: lequel elle perça d'un merueilleux effort,
auec grand meurtre de Carthaginois: achetant vne honteuse fuite,
au mesme prix qu'elle eust eu vne glorieuse victoire.C'est ce
dequoy i'ay le plus de peur que la peur.Aussi surmonte elle en2
aigreur tous autres accidents.Quelle affection peut estre plus
aspre et plus iuste, que celle des amis de Pompeius, qui estoient
en son nauire, spectateurs de cet horrible massacre?Si est-ce que
la peur des voiles Egyptiennes, qui commençoient à les approcher,
l'estouffa de maniere, qu'on a remerqué, qu'ils ne s'amuserent qu'à•
haster les mariniers de diligenter, et de se sauuer à coups d'auiron;
iusques à ce qu'arriuez à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy
de tourner leur pensee à la perte qu'ils venoient de faire, et lascher
la bride aux lamentations et aux larmes, que cette autre plus forte
passion auoit suspendües.3
Tum pauor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat.
Ceux qui auront esté bien frottés en quelque estour de guerre, tous
blessez encor et ensanglantez, on les rameine bien le lendemain à
la charge.Mais ceux qui ont conçeu quelque bonne peur des ennemis,
vous ne les leur feriez pas seulement regarder en face.Ceux•
qui sont en pressante crainte de perdre leur bien, d'estre exilez,
d'estre subiuguez, viuent en continuelle angoisse, en perdent le
boire, le manger, et le repos.Là où les pauures, les bannis, les
serfs, viuent souuent aussi ioyeusement que les autres.Et tant de
gens, qui de l'impatience des pointures de la peur, se sont pendus,
noyez, et precipitez, nous ont bien apprins qu'elle est encores plus
importune et plus insupportable que la mort.Les Grecs en recognoissent•
vne autre espece, qui est outre l'erreur de nostre discours:
venant, disent-ils, sans cause apparente, et d'vne impulsion
celeste.Des peuples entiers s'en voyent souuent frappez, et des
armees entieres.Telle fut celle qui apporta à Carthage vne merueilleuse
desolation.On n'y oyoit que cris et voix effrayees: on1
voyoit les habitans sortir de leurs maisons, comme à l'alarme;
et se charger, blesser et entretuer les vns les autres, comme si
ce fussent ennemis, qui vinssent à occuper leur ville.Tout y estoit
en desordre, et en fureur: iusques à ce que par oraisons et sacrifices,
ils eussent appaisé l'ire des dieux.Ils nomment cela terreurs•
Paniques.
CHAPITRE XVIII. (TRADUCTION LIV.I, CH.XVIII.)
Qu'il ne faut iuger de nostre heur, qu'après la mort.
Scilicet vltima semper
Expectanda dies homini est, dicique beatus
Ante obitum nemo supremáque funera debet.
Les enfans sçauent le conte du Roy Crœsus à ce propos: lequel2
ayant esté pris par Cyrus, et condamné à la mort, sur le point de
l'execution, il s'escria, O Solon, Solon: cela rapporté à Cyrus, et
s'estant enquis que c'estoit à dire, il luy fit entendre, qu'il verifioit
lors à ses despends l'aduertissement qu'autrefois luy auoit donné
Solon: que les hommes, quelque beau visage que fortune leur face,•
ne se peuuent appeller heureux, iusques à ce qu'on leur ayt veu
passer le dernier iour de leur vie, pour l'incertitude et varieté des
choses humaines, qui d'vn bien leger mouuement se changent d'vn
estat en autre tout diuers.Et pourtant Agesilaus, à quelqu'vn qui
disoit heureux le Roy de Perse, de ce qu'il estoit venu fort ieune à3
vn si puissant estat: Ouy-mais, dit-il, Priam en tel aage ne fut pas
malheureux.Tantost des Roys de Macedoine, successeurs de ce
grand Alexandre, il s'en faict des menuysiers et greffiers à Rome:
des tyrans de Sicile, des pedants à Corinthe: d'vn conquerant de
la moitié du monde, et Empereur de tant d'armees, il s'en faict vn
miserable suppliant des belitres officiers d'vn Roy d'Ægypte: tant
cousta à ce grand Pompeius la prolongation de cinq ou six mois de
vie.Et du temps de nos Peres ce Ludouic Sforce dixiesme Duc de•
Milan, soubs qui auoit si long temps branslé toute l'Italie, on l'a
veu mourir prisonnier à Loches: mais apres y auoir vescu dix ans,
qui est le pis de son marché.La plus belle Royne, vefue du plus
grand Roy de la Chrestienté, vient elle pas de mourir par la main
d'vn Bourreau?indigne et barbare cruauté!Et mille tels exemples.1
Car il semble que comme les orages et tempestes se piquent contre
l'orgueil et hautaineté de nos bastimens, il y ayt aussi là haut des
esprits enuieux des grandeurs de ça bas.
Vsque adeò res humanas vis abdita quædam
Obterit, et pulchros fasces sæuásque secures•
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur.
Et semble que la fortune quelquefois guette à point nommé le dernier
iour de nostre vie, pour montrer sa puissance, de renuerser
en vn moment ce qu'elle auoit basty en longues annees; et nous
fait crier apres Laberius, Nimirum hac die vna plus vixi mihi, quàm2
viuendum fuitAinsi se peut prendre auec raison, ce bon aduis
de Solon.Mais d'autant que c'est vn Philosophe, à l'endroit desquels
les faueurs et disgraces de la fortune ne tiennent rang, ny
d'heur ny de malheur, et sont les grandeurs, et puissances, accidens
de qualité à peu pres indifferente, ie trouue vray-semblable,•
qu'il ayt regardé plus auant; et voulu dire que ce mesme bon-heur
de nostre vie, qui dépend de la tranquillité et contentement d'vn
esprit bien né, et de la resolution et asseurance d'vne ame reglee
ne se doiue iamais attribuer à l'homme, qu'on ne luy ayt veu
ioüer le dernier acte de sa comedie: et sans doute le plus difficile.3
Expectanda dies homini est, dicique beatus
Ante obitum nemo supremáque funera debet.
Les enfans sçauent le conte du Roy Crœsus à ce propos: lequel2
ayant esté pris par Cyrus, et condamné à la mort, sur le point de
l'execution, il s'escria, O Solon, Solon: cela rapporté à Cyrus, et
s'estant enquis que c'estoit à dire, il luy fit entendre, qu'il verifioit
lors à ses despends l'aduertissement qu'autrefois luy auoit donné
Solon: que les hommes, quelque beau visage que fortune leur face,•
ne se peuuent appeller heureux, iusques à ce qu'on leur ayt veu
passer le dernier iour de leur vie, pour l'incertitude et varieté des
choses humaines, qui d'vn bien leger mouuement se changent d'vn
estat en autre tout diuers.Et pourtant Agesilaus, à quelqu'vn qui
disoit heureux le Roy de Perse, de ce qu'il estoit venu fort ieune à3
vn si puissant estat: Ouy-mais, dit-il, Priam en tel aage ne fut pas
malheureux.Tantost des Roys de Macedoine, successeurs de ce
grand Alexandre, il s'en faict des menuysiers et greffiers à Rome:
des tyrans de Sicile, des pedants à Corinthe: d'vn conquerant de
la moitié du monde, et Empereur de tant d'armees, il s'en faict vn
miserable suppliant des belitres officiers d'vn Roy d'Ægypte: tant
cousta à ce grand Pompeius la prolongation de cinq ou six mois de
vie.Et du temps de nos Peres ce Ludouic Sforce dixiesme Duc de•
Milan, soubs qui auoit si long temps branslé toute l'Italie, on l'a
veu mourir prisonnier à Loches: mais apres y auoir vescu dix ans,
qui est le pis de son marché.La plus belle Royne, vefue du plus
grand Roy de la Chrestienté, vient elle pas de mourir par la main
d'vn Bourreau?indigne et barbare cruauté!Et mille tels exemples.1
Car il semble que comme les orages et tempestes se piquent contre
l'orgueil et hautaineté de nos bastimens, il y ayt aussi là haut des
esprits enuieux des grandeurs de ça bas.
Vsque adeò res humanas vis abdita quædam
Obterit, et pulchros fasces sæuásque secures•
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur.
Et semble que la fortune quelquefois guette à point nommé le dernier
iour de nostre vie, pour montrer sa puissance, de renuerser
en vn moment ce qu'elle auoit basty en longues annees; et nous
fait crier apres Laberius, Nimirum hac die vna plus vixi mihi, quàm2
viuendum fuitAinsi se peut prendre auec raison, ce bon aduis
de Solon.Mais d'autant que c'est vn Philosophe, à l'endroit desquels
les faueurs et disgraces de la fortune ne tiennent rang, ny
d'heur ny de malheur, et sont les grandeurs, et puissances, accidens
de qualité à peu pres indifferente, ie trouue vray-semblable,•
qu'il ayt regardé plus auant; et voulu dire que ce mesme bon-heur
de nostre vie, qui dépend de la tranquillité et contentement d'vn
esprit bien né, et de la resolution et asseurance d'vne ame reglee
ne se doiue iamais attribuer à l'homme, qu'on ne luy ayt veu
ioüer le dernier acte de sa comedie: et sans doute le plus difficile.3
En tout le reste il y peut auoir du masque: ou ces beaux discours
de la Philosophie ne sont en nous que par contenance, ou les
accidens ne nous essayant pas iusques au vif, nous donnent loisir de
maintenir tousiours nostre visage rassis.Mais à ce dernier rolle de
la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler François;•
il faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot.
Nam veræ voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur, et eripitur persona, manet res.
Voyla pourquoy se doiuent à ce dernier traict toucher et esprouuer
toutes les autres actions de nostre vie.C'est le maistre iour, c'est4
le iour iuge de tous les autres: c'est le iour, dict vn ancien, qui
doit iuger de toutes mes années passées.Ie remets à la mort
l'essay du fruict de mes estudes.Nous verrons là si mes discours
me partent de la bouche, ou du cœur.I'ay veu plusieurs donner
par leur mort reputation en bien ou en mal, à toute leur vie.Scipion
beau-pere de Pompeius rabilla en bien mourant la mauuaise•
opinion qu'on auoit eu de luy iusques alors.Epaminondas interrogé
lequel des trois il estimoit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates,
ou soy-mesme: Il nous faut voir mourir, fit-il, auant que
d'en pouuoir resoudre.De vray on desroberoit beaucoup à celuy
là, qui le poiseroit sans l'honneur et grandeur de sa fin.Dieu1
l'a voulu comme il luy a pleu: mais en mon temps trois les plus
execrables personnes, que ie cogneusse en toute abomination de
vie, et les plus infames, ont eu des morts reglées, et en toute
circonstance composées iusques à la perfection.Il est des morts
braues et fortunées.Ie luy ay veu trancher le fil d'vn progrez•
de merueilleux auancement, et dans la fleur de son croist, à
quelqu'vn, d'vne fin si pompeuse, qu'à mon aduis ses ambitieux
et courageux desseins n'auoient rien de si hault que fut leur interruption.
Il arriua sans y aller, où il pretendoit, plus grandement
et glorieusement, que ne portoit son desir et esperance.Et deuança2
par sa cheute, le pouuoir et le nom, où il aspiroit par sa course.
Au iugement de la vie d'autruy, ie regarde tousiours comment s'en
est porté le bout, et des principaux estudes de la mienne, c'est qu'il
se porte bien, c'est à dire quietement et sourdement.
de la Philosophie ne sont en nous que par contenance, ou les
accidens ne nous essayant pas iusques au vif, nous donnent loisir de
maintenir tousiours nostre visage rassis.Mais à ce dernier rolle de
la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler François;•
il faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot.
Nam veræ voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur, et eripitur persona, manet res.
Voyla pourquoy se doiuent à ce dernier traict toucher et esprouuer
toutes les autres actions de nostre vie.C'est le maistre iour, c'est4
le iour iuge de tous les autres: c'est le iour, dict vn ancien, qui
doit iuger de toutes mes années passées.Ie remets à la mort
l'essay du fruict de mes estudes.Nous verrons là si mes discours
me partent de la bouche, ou du cœur.I'ay veu plusieurs donner
par leur mort reputation en bien ou en mal, à toute leur vie.Scipion
beau-pere de Pompeius rabilla en bien mourant la mauuaise•
opinion qu'on auoit eu de luy iusques alors.Epaminondas interrogé
lequel des trois il estimoit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates,
ou soy-mesme: Il nous faut voir mourir, fit-il, auant que
d'en pouuoir resoudre.De vray on desroberoit beaucoup à celuy
là, qui le poiseroit sans l'honneur et grandeur de sa fin.Dieu1
l'a voulu comme il luy a pleu: mais en mon temps trois les plus
execrables personnes, que ie cogneusse en toute abomination de
vie, et les plus infames, ont eu des morts reglées, et en toute
circonstance composées iusques à la perfection.Il est des morts
braues et fortunées.Ie luy ay veu trancher le fil d'vn progrez•
de merueilleux auancement, et dans la fleur de son croist, à
quelqu'vn, d'vne fin si pompeuse, qu'à mon aduis ses ambitieux
et courageux desseins n'auoient rien de si hault que fut leur interruption.
Il arriua sans y aller, où il pretendoit, plus grandement
et glorieusement, que ne portoit son desir et esperance.Et deuança2
par sa cheute, le pouuoir et le nom, où il aspiroit par sa course.
Au iugement de la vie d'autruy, ie regarde tousiours comment s'en
est porté le bout, et des principaux estudes de la mienne, c'est qu'il
se porte bien, c'est à dire quietement et sourdement.
CHAPITRE XIX. (TRADUCTION LIV.I, CH.XIX.)
Que philosopher, c'est apprendre à mourir.
CICERO dit que Philosopher ce n'est autre chose que s'aprester à•
la mort.C'est d'autant que l'estude et la contemplation retirent
aucunement nostre ame hors de nous, et l'embesongnent à part du
corps, qui est quelque apprentissage et ressemblance de la mort:
ou bien, c'est que toute la sagesse et discours du monde se resoult
en fin à ce point, de nous apprendre à ne craindre point à3
mourir.De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doit viser
qu'à nostre contentement, et tout son trauail tendre en somme à
nous faire bien viure, et à nostre aise, comme dict la Sainte Escriture.
Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir
est nostre but, quoy qu'elles en prennent diuers moyens; autrement
on les chasseroit d'arriuée.Car qui escouteroit celuy, qui
pour sa fin establiroit nostre peine et mesaise?Les dissentions des•
sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales. Transcurramus solertissimas
nugas. Il y a plus d'opiniastreté et de picoterie, qu'il
n'appartient à vne si saincte profession.Mais quelque personnage
que l'homme entrepreigne, il iouë tousiours le sien parmy.
la mort.C'est d'autant que l'estude et la contemplation retirent
aucunement nostre ame hors de nous, et l'embesongnent à part du
corps, qui est quelque apprentissage et ressemblance de la mort:
ou bien, c'est que toute la sagesse et discours du monde se resoult
en fin à ce point, de nous apprendre à ne craindre point à3
mourir.De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doit viser
qu'à nostre contentement, et tout son trauail tendre en somme à
nous faire bien viure, et à nostre aise, comme dict la Sainte Escriture.
Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir
est nostre but, quoy qu'elles en prennent diuers moyens; autrement
on les chasseroit d'arriuée.Car qui escouteroit celuy, qui
pour sa fin establiroit nostre peine et mesaise?Les dissentions des•
sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales. Transcurramus solertissimas
nugas. Il y a plus d'opiniastreté et de picoterie, qu'il
n'appartient à vne si saincte profession.Mais quelque personnage
que l'homme entrepreigne, il iouë tousiours le sien parmy.
Quoy qu'ils dient, en la vertu mesme, le dernier but de nostre1
visee, c'est la volupté.Il me plaist de battre leurs oreilles de ce
mot, qui leur est si fort à contrecœur: et s'il signifie quelque
supreme plaisir, et excessif contentement, il est mieux deu à
l'assistance de la vertu, qu'à nulle autre assistance.Cette volupté
pour estre plus gaillarde, nerueuse, robuste, virile, n'en est que•
plus serieusement voluptueuse.Et luy deuions donner le nom du
plaisir, plus fauorable, plus doux et naturel: non celuy de la
vigueur, duquel nous l'auons denommee.Cette autre volupté
plus basse, si elle meritoit ce beau nom: ce deuoit estre en concurrence,
non par priuilege.Ie la trouue moins pure d'incommoditez2
et de trauerses, que n'est la vertu.Outre que son goust
est plus momentanee, fluide et caduque, elle a ses veilles, ses
ieusnes, et ses trauaux, et la sueur et le sang.Et en outre particulierement,
ses passions trenchantes de tant de sortes; et à son
costé vne satieté si lourde, qu'elle equipolle à penitence.Nous•
auons grand tort d'estimer que ses incommoditez luy seruent d'aiguillon
et de condiment à sa douceur, comme en nature le contraire
se viuifie par son contraire: et de dire, quand nous venons
à la vertu, que pareilles suittes et difficultez l'accablent, la rendent
austere et inacessible.Là où beaucoup plus proprement3
qu'à la volupté, elles anoblissent, aiguisent, et rehaussent le plaisir
diuin et parfaict, qu'elle nous moienne.Celuy la est certes bien
indigne de son accointance, qui contrepoise son coust, à son fruict:
et n'en cognoist ny les graces ny l'vsage.Ceux qui nous vont
instruisant, que sa queste est scabreuse et laborieuse, sa iouïssance
agréable: que nous disent-ils par là, sinon qu'elle est tousiours
desagreable?Car quel moien humain arriua iamais à sa iouïssance?
Les plus parfaits se sont bien contentez d'y aspirer, et de
l'approcher, sans la posseder.Mais ils se trompent; veu que de tous•
les plaisirs que nous cognoissons, la poursuite mesme en est plaisante.
L'entreprise se sent de la qualité de la chose qu'elle regarde:
car c'est vne bonne portion de l'effect, et consubstancielle.
L'heur et la beatitude qui reluit en la vertu, remplit toutes ses
appartenances et auenues, iusques à la premiere entree et extreme1
barriere.Or des principaux bienfaicts de la vertu, c'est le
mepris de la mort, moyen qui fournit nostre vie d'vne molle tranquillité,
et nous en donne le goust pur et amiable: sans qui toute
autre volupté est esteinte.Voyla pourquoy toutes les regles se
rencontrent et conuiennent à cet article.Et combien qu'elles nous•
conduisent aussi toutes d'vn commun accord à mespriser la douleur,
la pauureté, et autres accidens, à quoy la vie humaine est
subiecte, ce n'est pas d'vn pareil soing: tant par ce que ces accidens
ne sont pas de telle necessité, la pluspart des hommes passent
leur vie sans gouster de la pauureté, et tels encore sans sentiment2
de douleur et de maladie, comme Xenophilus le Musicien,
qui vescut cent et six ans d'vne entiere santé: qu'aussi d'autant
qu'au pis aller, la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, et
coupper broche à tous autres inconuenients.Mais quant à la mort,
elle est ineuitable.•
Omnes eodem cogimur, omnium
Versatur vrna, serius ocius
Sors exitura, et nos in æter-
Num exitium impositura cymbæ.
Et par consequent, si elle nous faict peur, c'est vn subiect continuel3
de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager.Il n'est
lieu d'où elle ne nous vienne.Nous pouuons tourner sans cesse la
teste çà et là, comme en pays suspect: quæ quasi saxum Tantalo
semper impendetNos parlemens renuoyent souuent executer les
criminels au lieu où le crime est commis: durant le chemin, promenez•
les par de belles maisons, faictes leur tant de bonne chere,
qu'il vous plaira,
non Siculæ dapes
Dulcem elaborabunt saporem,
Non auium, cytharæque cantus4
Somnum reducent.
Pensez vous qu'ils s'en puissent resiouir?et que la finale intention
de leur voyage leur estant ordinairement deuant les yeux, ne leur
ayt alteré et affadi le goust à toutes ces commoditez?
Audit iter, numerátque dies, spatiòque viarum
Metitur vitam, torquetur peste futura.
visee, c'est la volupté.Il me plaist de battre leurs oreilles de ce
mot, qui leur est si fort à contrecœur: et s'il signifie quelque
supreme plaisir, et excessif contentement, il est mieux deu à
l'assistance de la vertu, qu'à nulle autre assistance.Cette volupté
pour estre plus gaillarde, nerueuse, robuste, virile, n'en est que•
plus serieusement voluptueuse.Et luy deuions donner le nom du
plaisir, plus fauorable, plus doux et naturel: non celuy de la
vigueur, duquel nous l'auons denommee.Cette autre volupté
plus basse, si elle meritoit ce beau nom: ce deuoit estre en concurrence,
non par priuilege.Ie la trouue moins pure d'incommoditez2
et de trauerses, que n'est la vertu.Outre que son goust
est plus momentanee, fluide et caduque, elle a ses veilles, ses
ieusnes, et ses trauaux, et la sueur et le sang.Et en outre particulierement,
ses passions trenchantes de tant de sortes; et à son
costé vne satieté si lourde, qu'elle equipolle à penitence.Nous•
auons grand tort d'estimer que ses incommoditez luy seruent d'aiguillon
et de condiment à sa douceur, comme en nature le contraire
se viuifie par son contraire: et de dire, quand nous venons
à la vertu, que pareilles suittes et difficultez l'accablent, la rendent
austere et inacessible.Là où beaucoup plus proprement3
qu'à la volupté, elles anoblissent, aiguisent, et rehaussent le plaisir
diuin et parfaict, qu'elle nous moienne.Celuy la est certes bien
indigne de son accointance, qui contrepoise son coust, à son fruict:
et n'en cognoist ny les graces ny l'vsage.Ceux qui nous vont
instruisant, que sa queste est scabreuse et laborieuse, sa iouïssance
agréable: que nous disent-ils par là, sinon qu'elle est tousiours
desagreable?Car quel moien humain arriua iamais à sa iouïssance?
Les plus parfaits se sont bien contentez d'y aspirer, et de
l'approcher, sans la posseder.Mais ils se trompent; veu que de tous•
les plaisirs que nous cognoissons, la poursuite mesme en est plaisante.
L'entreprise se sent de la qualité de la chose qu'elle regarde:
car c'est vne bonne portion de l'effect, et consubstancielle.
L'heur et la beatitude qui reluit en la vertu, remplit toutes ses
appartenances et auenues, iusques à la premiere entree et extreme1
barriere.Or des principaux bienfaicts de la vertu, c'est le
mepris de la mort, moyen qui fournit nostre vie d'vne molle tranquillité,
et nous en donne le goust pur et amiable: sans qui toute
autre volupté est esteinte.Voyla pourquoy toutes les regles se
rencontrent et conuiennent à cet article.Et combien qu'elles nous•
conduisent aussi toutes d'vn commun accord à mespriser la douleur,
la pauureté, et autres accidens, à quoy la vie humaine est
subiecte, ce n'est pas d'vn pareil soing: tant par ce que ces accidens
ne sont pas de telle necessité, la pluspart des hommes passent
leur vie sans gouster de la pauureté, et tels encore sans sentiment2
de douleur et de maladie, comme Xenophilus le Musicien,
qui vescut cent et six ans d'vne entiere santé: qu'aussi d'autant
qu'au pis aller, la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, et
coupper broche à tous autres inconuenients.Mais quant à la mort,
elle est ineuitable.•
Omnes eodem cogimur, omnium
Versatur vrna, serius ocius
Sors exitura, et nos in æter-
Num exitium impositura cymbæ.
Et par consequent, si elle nous faict peur, c'est vn subiect continuel3
de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager.Il n'est
lieu d'où elle ne nous vienne.Nous pouuons tourner sans cesse la
teste çà et là, comme en pays suspect: quæ quasi saxum Tantalo
semper impendetNos parlemens renuoyent souuent executer les
criminels au lieu où le crime est commis: durant le chemin, promenez•
les par de belles maisons, faictes leur tant de bonne chere,
qu'il vous plaira,
non Siculæ dapes
Dulcem elaborabunt saporem,
Non auium, cytharæque cantus4
Somnum reducent.
Pensez vous qu'ils s'en puissent resiouir?et que la finale intention
de leur voyage leur estant ordinairement deuant les yeux, ne leur
ayt alteré et affadi le goust à toutes ces commoditez?
Audit iter, numerátque dies, spatiòque viarum
Metitur vitam, torquetur peste futura.
Le but de nostre carriere c'est la mort, c'est l'obiect necessaire
de nostre visee: si elle nous effraye, comme est-il possible d'aller
vn pas auant sans fiebure?Le remede du vulgaire c'est de n'y•
penser pas.Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir vn si
grossier aueuglement?Il luy faut faire brider l'asne par la
queuë,
Qui capite ipse suo instituit vestigia retro.
Ce n'est pas de merueille s'il est si souuent pris au piege.On fait1
peur à nos gens seulement de nommer la mort, et la pluspart s'en
seignent, comme du nom du diable.Et par-ce qu'il s'en faict mention
aux testamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main,
que le Medecin ne leur ayt donné l'extreme sentence.Et Dieu sçait
lors entre la douleur et la frayeur, de quel bon iugement ils vous•
le patissent.Par ce que cette syllabe frappoit trop rudement
leurs oreilles, et que cette voix leur sembloit malencontreuse, les
Romains auoient apris de l'amollir ou l'estendre en perifrazes.Au
lieu de dire, il est mort; il a cessé de viure, disent-ils, il a vescu.
Pourueu que ce soit vie, soit elle passee, ils se consolent.Nous en2
auons emprunté, nostre feu Maistre-Iehan.A l'aduenture est-ce,
que comme on dict, le terme vaut l'argent.Ie nasquis entre vnze
heures et midi le dernier iour de Feburier, mil cinq cens trente
trois: comme nous contons à cette heure, commençant l'an en
Ianuier.Il n'y a iustement que quinze iours que i'ay franchy trente•
neuf ans, il m'en faut pour le moins encore autant.Ce pendant
s'empescher du pensement de chose si esloignee, ce seroit folie.
Mais quoy?les ieunes et les vieux laissent la vie de mesme condition.
Nul n'en sort autrement que si tout presentement il y entroit,
ioinct qu'il n'est homme si décrepite tant qu'il voit Mathusalem3
deuant, qui ne pense auoir encore vingt ans dans le corps.D'auantage,
pauure fol que tu es, qui t'a estably les termes de ta vie?
Tu te fondes sur les contes des Medecins.Regarde plustost l'effect et
l'experience.Par le commun train des choses, tu vis pieça par faueur
extraordinaire.Tu as passé les termes accoustumez de viure: et•
qu'il soit ainsi, conte de tes cognoissans, combien il en est mort
auant ton aage, plus qu'il n'en y a qui l'ayent atteint: et de ceux
mesme qui ont annobli leur vie par renommee, fais en registre, et
l'entreray en gageure d'en trouuer plus qui sont morts, auant,
qu'apres trente cinq ans.Il est plein de raison, et de pieté, de4
prendre exemple de l'humanité mesme de Iesus-Christ.Or il finit
sa vie à trente et trois ans.Le plus grand homme, simplement
homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme.Combien a la mort
de façons de surprise?
Quid quisque vitet, nunquam homini satis
Cautum est in horas.
Ie laisse à part les fiebures et les pleuresies.Qui eust iamais pensé•
qu'vn Duc de Bretaigne deust estre estouffé de la presse, comme
fut celuy là à l'entree du Pape Clement mon voisin, à Lyon?N'as tu
pas veu tuer vn de nos Roys en se iouant?et vn de ses ancestres
mourut il pas choqué par vn pourceau?Æschylus menassé de la
cheute d'vne maison, a beau se tenir à l'airte, le voyla assommé1
d'vn toict de tortue, qui eschappa des pattes d'vn aigle en l'air:
l'autre mourut d'vn grain de raisin: vn Empereur de l'egratigneure
d'vn peigne en se testonnant: Æmylius Lepidus pour auoir heurté
du pied contre le seuil de son huis: et Aufidius pour auoir choqué
en entrant contre la porte de la chambre du conseil.Et entre les•
cuisses des femmes Cornelius Gallus Preteur, Tigillinus Capitaine du
guet à Rome, Ludouic fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe.
Et d'vn encore pire exemple, Speusippus Philosophe Platonicien, et
l'vn de nos Papes.Le pauure Bebius, Iuge, cependant qu'il donne
delay de huictaine à vne partie, le voyla saisi, le sien de viure2
estant expiré: et Caius Iulius Medecin gressant les yeux d'vn patient,
voyla la mort qui clost les siens.Et s'il m'y faut mesler, vn mien
frere le Capitaine S.Martin, aagé de vingt trois ans, qui auoit desia
faict assez bonne preuue de sa valeur, iouant à la paume, reçeut
vn coup d'esteuf, qui l'assena vn peu au dessus de l'oreille droitte,•
sans aucune apparence de contusion, ny de blessure: il ne s'en
assit, n'y reposa: mais cinq ou six heures apres il mourut d'vne
Apoplexie que ce coup luy causa.Ces exemples si frequents et
si ordinaires nous passans deuant les yeux, comme est-il possible
qu'on se puisse deffaire du pensement de la mort, et qu'à chasque3
instant il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet?Qu'importe-il,
me direz vous, comment que ce soit, pourueu qu'on ne s'en
donne point de peine?Ie suis de cet aduis: et en quelque maniere
qu'on se puisse mettre à l'abri des coups, fust ce soubs la peau
d'vn veau, ie ne suis pas homme qui y reculast: car il me suffit de•
passer à mon aise, et le meilleur ieu que ie me puisse donner, ie
le prens, si peu glorieux au reste et exemplaire que vous voudrez.
prætulerim delirus inérsque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique fallant,
Quàm sapere et ringi.4
de nostre visee: si elle nous effraye, comme est-il possible d'aller
vn pas auant sans fiebure?Le remede du vulgaire c'est de n'y•
penser pas.Mais de quelle brutale stupidité luy peut venir vn si
grossier aueuglement?Il luy faut faire brider l'asne par la
queuë,
Qui capite ipse suo instituit vestigia retro.
Ce n'est pas de merueille s'il est si souuent pris au piege.On fait1
peur à nos gens seulement de nommer la mort, et la pluspart s'en
seignent, comme du nom du diable.Et par-ce qu'il s'en faict mention
aux testamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main,
que le Medecin ne leur ayt donné l'extreme sentence.Et Dieu sçait
lors entre la douleur et la frayeur, de quel bon iugement ils vous•
le patissent.Par ce que cette syllabe frappoit trop rudement
leurs oreilles, et que cette voix leur sembloit malencontreuse, les
Romains auoient apris de l'amollir ou l'estendre en perifrazes.Au
lieu de dire, il est mort; il a cessé de viure, disent-ils, il a vescu.
Pourueu que ce soit vie, soit elle passee, ils se consolent.Nous en2
auons emprunté, nostre feu Maistre-Iehan.A l'aduenture est-ce,
que comme on dict, le terme vaut l'argent.Ie nasquis entre vnze
heures et midi le dernier iour de Feburier, mil cinq cens trente
trois: comme nous contons à cette heure, commençant l'an en
Ianuier.Il n'y a iustement que quinze iours que i'ay franchy trente•
neuf ans, il m'en faut pour le moins encore autant.Ce pendant
s'empescher du pensement de chose si esloignee, ce seroit folie.
Mais quoy?les ieunes et les vieux laissent la vie de mesme condition.
Nul n'en sort autrement que si tout presentement il y entroit,
ioinct qu'il n'est homme si décrepite tant qu'il voit Mathusalem3
deuant, qui ne pense auoir encore vingt ans dans le corps.D'auantage,
pauure fol que tu es, qui t'a estably les termes de ta vie?
Tu te fondes sur les contes des Medecins.Regarde plustost l'effect et
l'experience.Par le commun train des choses, tu vis pieça par faueur
extraordinaire.Tu as passé les termes accoustumez de viure: et•
qu'il soit ainsi, conte de tes cognoissans, combien il en est mort
auant ton aage, plus qu'il n'en y a qui l'ayent atteint: et de ceux
mesme qui ont annobli leur vie par renommee, fais en registre, et
l'entreray en gageure d'en trouuer plus qui sont morts, auant,
qu'apres trente cinq ans.Il est plein de raison, et de pieté, de4
prendre exemple de l'humanité mesme de Iesus-Christ.Or il finit
sa vie à trente et trois ans.Le plus grand homme, simplement
homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme.Combien a la mort
de façons de surprise?
Quid quisque vitet, nunquam homini satis
Cautum est in horas.
Ie laisse à part les fiebures et les pleuresies.Qui eust iamais pensé•
qu'vn Duc de Bretaigne deust estre estouffé de la presse, comme
fut celuy là à l'entree du Pape Clement mon voisin, à Lyon?N'as tu
pas veu tuer vn de nos Roys en se iouant?et vn de ses ancestres
mourut il pas choqué par vn pourceau?Æschylus menassé de la
cheute d'vne maison, a beau se tenir à l'airte, le voyla assommé1
d'vn toict de tortue, qui eschappa des pattes d'vn aigle en l'air:
l'autre mourut d'vn grain de raisin: vn Empereur de l'egratigneure
d'vn peigne en se testonnant: Æmylius Lepidus pour auoir heurté
du pied contre le seuil de son huis: et Aufidius pour auoir choqué
en entrant contre la porte de la chambre du conseil.Et entre les•
cuisses des femmes Cornelius Gallus Preteur, Tigillinus Capitaine du
guet à Rome, Ludouic fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe.
Et d'vn encore pire exemple, Speusippus Philosophe Platonicien, et
l'vn de nos Papes.Le pauure Bebius, Iuge, cependant qu'il donne
delay de huictaine à vne partie, le voyla saisi, le sien de viure2
estant expiré: et Caius Iulius Medecin gressant les yeux d'vn patient,
voyla la mort qui clost les siens.Et s'il m'y faut mesler, vn mien
frere le Capitaine S.Martin, aagé de vingt trois ans, qui auoit desia
faict assez bonne preuue de sa valeur, iouant à la paume, reçeut
vn coup d'esteuf, qui l'assena vn peu au dessus de l'oreille droitte,•
sans aucune apparence de contusion, ny de blessure: il ne s'en
assit, n'y reposa: mais cinq ou six heures apres il mourut d'vne
Apoplexie que ce coup luy causa.Ces exemples si frequents et
si ordinaires nous passans deuant les yeux, comme est-il possible
qu'on se puisse deffaire du pensement de la mort, et qu'à chasque3
instant il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet?Qu'importe-il,
me direz vous, comment que ce soit, pourueu qu'on ne s'en
donne point de peine?Ie suis de cet aduis: et en quelque maniere
qu'on se puisse mettre à l'abri des coups, fust ce soubs la peau
d'vn veau, ie ne suis pas homme qui y reculast: car il me suffit de•
passer à mon aise, et le meilleur ieu que ie me puisse donner, ie
le prens, si peu glorieux au reste et exemplaire que vous voudrez.
prætulerim delirus inérsque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique fallant,
Quàm sapere et ringi.4
Mais c'est folie d'y penser arriuer par là.Ils vont, ils viennent,
ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouuelles.Tout cela est
beau: mais aussi quand elle arriue, ou à eux ou à leurs femmes, enfans
et amis, les surprenant en dessoude et au descouuert, quels tourmens,
quels cris, quelle rage et quel desespoir les accable?Vistes•
vous iamais rien si rabaissé, si changé, si confus?Il y faut prouuoir
de meilleure heure: et cette nonchalance bestiale, quand elle
pourroit loger en la teste d'vn homme d'entendement, ce que ie
trouue entierement impossible, nous vend trop cher ses denrees.
Si c'estoit ennemy qui se peust euiter, ie conseillerois d'emprunter•
les armes de la coüardise: mais puis qu'il ne se peut; puis qu'il
vous attrappe fuyant et poltron aussi bien qu'honeste homme,
Nempe et fugacem persequitur virum,
Nec parcit imbellis iuuentæ
Poplitibus, timidoque tergo.1
et que nulle trampe de cuirasse vous couure,
Ille licet ferro cautus se condat in ære,
Mors tamen inclusum protrahet inde caput.
aprenons à le soustenir de pied ferme, et à le combatre: Et
pour commencer à luy oster son plus grand aduantage contre•
nous, prenons voye toute contraire à la commune.Ostons luy l'estrangeté,
pratiquons le, accoustumons le, n'ayons rien si souuent
en la teste que la mort: à tous instans representons la à nostre
imagination et en tous visages.Au broncher d'vn cheual, à la cheute
d'vne tuille, à la moindre piqueure d'espeingle, remachons soudain,2
Et bien quand ce seroit la mort mesme?et là dessus, roidissons
nous, et nous efforçons.Parmy les festes et la ioye, ayons
tousiours ce refrein de la souuenance de nostre condition, et ne
nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne
nous repasse en la memoire, en combien de sortes cette nostre allegresse•
est en butte à la mort, et de combien de prinses elle la
menasse.Ainsi faisoient les Egyptiens, qui au milieu de leurs
festins et parmy leur meilleure chere, faisoient apporter l'Anatomie
seche d'vn homme, pour seruir d'auertissement aux conuiez.
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum,3
Grata superueniet, quæ non sperabitur hora.
ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouuelles.Tout cela est
beau: mais aussi quand elle arriue, ou à eux ou à leurs femmes, enfans
et amis, les surprenant en dessoude et au descouuert, quels tourmens,
quels cris, quelle rage et quel desespoir les accable?Vistes•
vous iamais rien si rabaissé, si changé, si confus?Il y faut prouuoir
de meilleure heure: et cette nonchalance bestiale, quand elle
pourroit loger en la teste d'vn homme d'entendement, ce que ie
trouue entierement impossible, nous vend trop cher ses denrees.
Si c'estoit ennemy qui se peust euiter, ie conseillerois d'emprunter•
les armes de la coüardise: mais puis qu'il ne se peut; puis qu'il
vous attrappe fuyant et poltron aussi bien qu'honeste homme,
Nempe et fugacem persequitur virum,
Nec parcit imbellis iuuentæ
Poplitibus, timidoque tergo.1
et que nulle trampe de cuirasse vous couure,
Ille licet ferro cautus se condat in ære,
Mors tamen inclusum protrahet inde caput.
aprenons à le soustenir de pied ferme, et à le combatre: Et
pour commencer à luy oster son plus grand aduantage contre•
nous, prenons voye toute contraire à la commune.Ostons luy l'estrangeté,
pratiquons le, accoustumons le, n'ayons rien si souuent
en la teste que la mort: à tous instans representons la à nostre
imagination et en tous visages.Au broncher d'vn cheual, à la cheute
d'vne tuille, à la moindre piqueure d'espeingle, remachons soudain,2
Et bien quand ce seroit la mort mesme?et là dessus, roidissons
nous, et nous efforçons.Parmy les festes et la ioye, ayons
tousiours ce refrein de la souuenance de nostre condition, et ne
nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne
nous repasse en la memoire, en combien de sortes cette nostre allegresse•
est en butte à la mort, et de combien de prinses elle la
menasse.Ainsi faisoient les Egyptiens, qui au milieu de leurs
festins et parmy leur meilleure chere, faisoient apporter l'Anatomie
seche d'vn homme, pour seruir d'auertissement aux conuiez.
Omnem crede diem tibi diluxisse supremum,3
Grata superueniet, quæ non sperabitur hora.
Il est incertain où la mort nous attende, attendons la par tout.
La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté.Qui
a apris à mourir, il a desapris à seruir.Il n'y a rien de mal en
la vie, pour celuy qui a bien comprins, que la priuation de la vie•
n'est pas mal.Le sçauoir mourir nous afranchit de toute subiection
et contraincte.Paulus Æmylius respondit à celuy, que ce miserable
Roy de Macedoine son prisonnier luy enuoyoit, pour le
prier de ne le mener pas en son triomphe, Qu'il en face la requeste
à soy mesme.A la verité en toutes choses si nature ne4
preste vn peu, il est mal-aysé que l'art et l'industrie aillent guiere
auant.Ie suis de moy-mesme non melancholique, mais songecreux:
il n'est rien dequoy ie me soye des tousiours plus entretenu que
des imaginations de la mort; voire en la saison la plus licentieuse
de mon aage,
Iucundum cùm ætas florida ver ageret.
Parmy les dames et les ieux, tel me pensoit empesché à digerer à
part moy quelque ialousie, ou l'incertitude de quelque esperance,•
cependant que ie m'entretenois de ie ne sçay qui surpris les iours
precedens d'vne fieure chaude, et de sa fin au partir d'vne feste
pareille, et la teste pleine d'oisiueté, d'amour et de bon temps, comme
moy: et qu'autant m'en pendoit à l'oreille.
Iam fuerit, nec post vnquam reuocare licebit.1
Ie ne ridois non plus le front de ce pensement là, que d'vn autre.
La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté.Qui
a apris à mourir, il a desapris à seruir.Il n'y a rien de mal en
la vie, pour celuy qui a bien comprins, que la priuation de la vie•
n'est pas mal.Le sçauoir mourir nous afranchit de toute subiection
et contraincte.Paulus Æmylius respondit à celuy, que ce miserable
Roy de Macedoine son prisonnier luy enuoyoit, pour le
prier de ne le mener pas en son triomphe, Qu'il en face la requeste
à soy mesme.A la verité en toutes choses si nature ne4
preste vn peu, il est mal-aysé que l'art et l'industrie aillent guiere
auant.Ie suis de moy-mesme non melancholique, mais songecreux:
il n'est rien dequoy ie me soye des tousiours plus entretenu que
des imaginations de la mort; voire en la saison la plus licentieuse
de mon aage,
Iucundum cùm ætas florida ver ageret.
Parmy les dames et les ieux, tel me pensoit empesché à digerer à
part moy quelque ialousie, ou l'incertitude de quelque esperance,•
cependant que ie m'entretenois de ie ne sçay qui surpris les iours
precedens d'vne fieure chaude, et de sa fin au partir d'vne feste
pareille, et la teste pleine d'oisiueté, d'amour et de bon temps, comme
moy: et qu'autant m'en pendoit à l'oreille.
Iam fuerit, nec post vnquam reuocare licebit.1
Ie ne ridois non plus le front de ce pensement là, que d'vn autre.
Il est impossible que d'arriuee nous ne sentions des piqueures
de telles imaginations: mais en les maniant et repassant, au long
aller, on les appriuoise sans doubte: autrement de ma part ie fusse
en continuelle frayeur et frenesie: car iamais homme ne se défia•
tant de sa vie, iamais homme ne feit moins d'estat de sa duree.
Ny la santé, que i'ay iouy iusques à present tresuigoureuse et peu
souuent interrompue, ne m'en alonge l'esperance, ny les maladies
ne me l'acourcissent.A chaque minute il me semble que ie m'eschappe.
Et me rechante sans cesse, Tout ce qui peut estre faict vn2
autre iour, le peut estre auiourd'huy.De vray les hazards et dangiers
nous approchent peu ou rien de nostre fin: et si nous pensons,
combien il en reste, sans cet accident qui semble nous menasser
le plus, de millions d'autres sur nos testes, nous trouuerons que
gaillars et fieureux, en la mer et en nos maisons, en la bataille et•
en repos elle nous est égallement pres. Nemo altero fragilior est:
nemo in crastinum sui certior. Ce que i'ay affaire auant mourir,
pour l'acheuer tout loisir me semble court, fust ce d'vne
heure.Quelcun feuilletant l'autre iour mes tablettes, trouua vn
memoire de quelque chose, que ie vouloys estre faite apres ma3
mort: ie luy dy, comme il estoit vray, que n'estant qu'à vne lieuë
de ma maison, et sain et gaillard, ie m'estoy hasté de l'escrire là,
pour ne m'asseurer point d'arriuer iusques chez moy.Comme
celuy, qui continuellement me couue de mes pensees, et les couche
en moy: ie suis à toute heure preparé enuiron ce que ie le puis•
estre: et ne m'aduertira de rien de nouueau la suruenance de la
mort.Il faut estre tousiours botté et prest à partir, en tant que
en nous est, et sur tout se garder qu'on n'aye lors affaire qu'à
soy.
Quid breui fortes iaculamur æuo4
Multa?
Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcrois.L'vn
se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train d'vne
belle victoire: l'autre qu'il luy faut desloger auant qu'auoir marié
sa fille, ou contrerolé l'institution de ses enfans: l'vn pleint la
compagnie de sa femme, l'autre de son fils, comme commoditez
principales de son estre.Ie suis pour cette heure en tel estat, Dieu•
mercy, que ie puis desloger quand il luy plaira, sans regret de chose
quelconque: ie me desnoue par tout: mes adieux sont tantost
prins de chascun, sauf de moy.Iamais homme ne se prepara à
quiter le monde plus purement et pleinement, et ne s'en desprint
plus vniuersellement que ie m'attens de faire.Les plus mortes1
morts sont les plus saines.
miser ô miser (aiunt) omnia ademit
Vna dies infesta mihi tot præmia vitæ:
et le bastisseur,
manent (dict-il) opera interrupta, minæque•
Murorum ingentes
Il ne faut rien designer de si longue haleine, ou au moins auec
telle intention de se passionner pour en voir la fin.Nous sommes
nés pour agir:
Cùm moriar, medium soluar et inter opus.2
Ie veux qu'on agisse, et qu'on allonge les offices de la vie, tant
qu'on peut: et que la mort me treuue plantant mes choux; mais
nonchallant d'elle, et encore plus de mon iardin imparfait.I'en
vis mourir vn, qui estant à l'extremité se pleignoit incessamment,
dequoy sa destinee coupoit le fil de l'histoire qu'il auoit en main,•
sur le quinziesme ou seixiesme de nos Roys.
Illud in his rebus non addunt, nec tibi earum
Iam desiderium rerum super insidet vna.
de telles imaginations: mais en les maniant et repassant, au long
aller, on les appriuoise sans doubte: autrement de ma part ie fusse
en continuelle frayeur et frenesie: car iamais homme ne se défia•
tant de sa vie, iamais homme ne feit moins d'estat de sa duree.
Ny la santé, que i'ay iouy iusques à present tresuigoureuse et peu
souuent interrompue, ne m'en alonge l'esperance, ny les maladies
ne me l'acourcissent.A chaque minute il me semble que ie m'eschappe.
Et me rechante sans cesse, Tout ce qui peut estre faict vn2
autre iour, le peut estre auiourd'huy.De vray les hazards et dangiers
nous approchent peu ou rien de nostre fin: et si nous pensons,
combien il en reste, sans cet accident qui semble nous menasser
le plus, de millions d'autres sur nos testes, nous trouuerons que
gaillars et fieureux, en la mer et en nos maisons, en la bataille et•
en repos elle nous est égallement pres. Nemo altero fragilior est:
nemo in crastinum sui certior. Ce que i'ay affaire auant mourir,
pour l'acheuer tout loisir me semble court, fust ce d'vne
heure.Quelcun feuilletant l'autre iour mes tablettes, trouua vn
memoire de quelque chose, que ie vouloys estre faite apres ma3
mort: ie luy dy, comme il estoit vray, que n'estant qu'à vne lieuë
de ma maison, et sain et gaillard, ie m'estoy hasté de l'escrire là,
pour ne m'asseurer point d'arriuer iusques chez moy.Comme
celuy, qui continuellement me couue de mes pensees, et les couche
en moy: ie suis à toute heure preparé enuiron ce que ie le puis•
estre: et ne m'aduertira de rien de nouueau la suruenance de la
mort.Il faut estre tousiours botté et prest à partir, en tant que
en nous est, et sur tout se garder qu'on n'aye lors affaire qu'à
soy.
Quid breui fortes iaculamur æuo4
Multa?
Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcrois.L'vn
se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train d'vne
belle victoire: l'autre qu'il luy faut desloger auant qu'auoir marié
sa fille, ou contrerolé l'institution de ses enfans: l'vn pleint la
compagnie de sa femme, l'autre de son fils, comme commoditez
principales de son estre.Ie suis pour cette heure en tel estat, Dieu•
mercy, que ie puis desloger quand il luy plaira, sans regret de chose
quelconque: ie me desnoue par tout: mes adieux sont tantost
prins de chascun, sauf de moy.Iamais homme ne se prepara à
quiter le monde plus purement et pleinement, et ne s'en desprint
plus vniuersellement que ie m'attens de faire.Les plus mortes1
morts sont les plus saines.
miser ô miser (aiunt) omnia ademit
Vna dies infesta mihi tot præmia vitæ:
et le bastisseur,
manent (dict-il) opera interrupta, minæque•
Murorum ingentes
Il ne faut rien designer de si longue haleine, ou au moins auec
telle intention de se passionner pour en voir la fin.Nous sommes
nés pour agir:
Cùm moriar, medium soluar et inter opus.2
Ie veux qu'on agisse, et qu'on allonge les offices de la vie, tant
qu'on peut: et que la mort me treuue plantant mes choux; mais
nonchallant d'elle, et encore plus de mon iardin imparfait.I'en
vis mourir vn, qui estant à l'extremité se pleignoit incessamment,
dequoy sa destinee coupoit le fil de l'histoire qu'il auoit en main,•
sur le quinziesme ou seixiesme de nos Roys.
Illud in his rebus non addunt, nec tibi earum
Iam desiderium rerum super insidet vna.
Il faut se descharger de ces humeurs vulgaires et nuisibles.Tout
ainsi qu'on a planté nos cimetieres ioignant les Eglises, et aux3
lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer, disoit
Lycurgus, le bas populaire, les femmes et les enfans à ne s'effaroucher
point de voir vn homme mort: et affin que ce continuel
spectacle d'ossemens, de tombeaux, et de conuois nous aduertisse
de nostre condition.•
Quin etiam exhilarare viris conuiuia cæde
Mos olim, et miscere epulis spectacula dira
Certantum ferro, sæpe et super ipsa cadentum
Pocula, respersis non parco sanguine mensis.
ainsi qu'on a planté nos cimetieres ioignant les Eglises, et aux3
lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer, disoit
Lycurgus, le bas populaire, les femmes et les enfans à ne s'effaroucher
point de voir vn homme mort: et affin que ce continuel
spectacle d'ossemens, de tombeaux, et de conuois nous aduertisse
de nostre condition.•
Quin etiam exhilarare viris conuiuia cæde
Mos olim, et miscere epulis spectacula dira
Certantum ferro, sæpe et super ipsa cadentum
Pocula, respersis non parco sanguine mensis.
Et comme les Egyptiens apres leurs festins, faisoient presenter4
aux assistans vne grande image de la mort, par vn qui leur crioit:
Boy, et t'esiouy, car mort tu seras tel: aussi ay-ie pris en coustume,
d'auoir non seulement en l'imagination, mais continuellement la
mort en la bouche.Et n'est rien dequoy ie m'informe si volontiers,
que de la mort des hommes: quelle parole, quel visage, quelle•
contenance ils y ont eu: ny endroit des histoires, que ie remarque
si attentifuement.Il y paroist, à la farcissure de mes exemples: et
que i'ay en particuliere affection cette matiere.Si i'estoy faiseur
de liures, ie feroy vn registre commenté des morts diuerses: qui
apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à viure.Dicearchus•
en feit vn de pareil titre, mais d'autre et moins vtile
fin.On me dira, que l'effect surmonte de si loing la pensee, qu'il
n'y a si belle escrime, qui ne se perde, quand on en vient là:
laissez les dire; le premediter donne sans doubte grand auantage:
et puis n'est-ce rien, d'aller au moins iusques là sans alteration1
et sans fiéure?Il y a plus: nature mesme nous preste la main,
et nous donne courage.Si c'est vne mort courte et violente, nous
n'avons pas loisir de la craindre: si elle est autre, ie m'apperçois
qu'à mesure que ie m'engage dans la maladie, i'entre naturellement
en quelque desdain de la vie.Ie trouue que i'ay bien plus affaire•
à digerer cette resolution de mourir, quand ie suis en santé,
que ie n'ay quand ie suis en fiéure: d'autant que ie ne tiens plus
si fort aux commoditez de la vie, à raison que ie commance à en
perdre l'vsage et le plaisir, i'en voy la mort d'vne veuë beaucoup
moins effrayee.Cela me faict esperer, que plus ie m'eslongneray de2
celle-là, et approcheray de cette-cy, plus aysément i'entreray en
composition de leur eschange.Tout ainsi que i'ay essayé en plusieurs
autres occurrences, ce que dit Cesar, que les choses nous
paroissent souuent plus grandes de loing que de pres: i'ay trouué
que sain i'auois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors•
que ie les ay senties.L'alegresse où ie suis, le plaisir et la force, me
font paroistre l'autre estat si disproportionné à celuy-là, que par
imagination ie grossis ces incommoditez de la moitié, et les conçoy
plus poisantes, que ie ne les trouue, quand ie les ay sur les espaules.
I'espere qu'il m'en aduiendra ainsi de la mort.Voyons à ces mutations3
et declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature
nous desrobe la veuë de nostre perte et empirement.Que reste-il à
vn vieillard de la vigueur de sa ieunesse, et de sa vie passee?
Heu senibus vitæ portio quanta manet!
Cesar à vn soldat de sa garde recreu et cassé, qui vint en la ruë,•
luy demander congé de se faire mourir: regardant son maintien
decrepite, respondit plaisamment: Tu penses donc estre en vie.
aux assistans vne grande image de la mort, par vn qui leur crioit:
Boy, et t'esiouy, car mort tu seras tel: aussi ay-ie pris en coustume,
d'auoir non seulement en l'imagination, mais continuellement la
mort en la bouche.Et n'est rien dequoy ie m'informe si volontiers,
que de la mort des hommes: quelle parole, quel visage, quelle•
contenance ils y ont eu: ny endroit des histoires, que ie remarque
si attentifuement.Il y paroist, à la farcissure de mes exemples: et
que i'ay en particuliere affection cette matiere.Si i'estoy faiseur
de liures, ie feroy vn registre commenté des morts diuerses: qui
apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à viure.Dicearchus•
en feit vn de pareil titre, mais d'autre et moins vtile
fin.On me dira, que l'effect surmonte de si loing la pensee, qu'il
n'y a si belle escrime, qui ne se perde, quand on en vient là:
laissez les dire; le premediter donne sans doubte grand auantage:
et puis n'est-ce rien, d'aller au moins iusques là sans alteration1
et sans fiéure?Il y a plus: nature mesme nous preste la main,
et nous donne courage.Si c'est vne mort courte et violente, nous
n'avons pas loisir de la craindre: si elle est autre, ie m'apperçois
qu'à mesure que ie m'engage dans la maladie, i'entre naturellement
en quelque desdain de la vie.Ie trouue que i'ay bien plus affaire•
à digerer cette resolution de mourir, quand ie suis en santé,
que ie n'ay quand ie suis en fiéure: d'autant que ie ne tiens plus
si fort aux commoditez de la vie, à raison que ie commance à en
perdre l'vsage et le plaisir, i'en voy la mort d'vne veuë beaucoup
moins effrayee.Cela me faict esperer, que plus ie m'eslongneray de2
celle-là, et approcheray de cette-cy, plus aysément i'entreray en
composition de leur eschange.Tout ainsi que i'ay essayé en plusieurs
autres occurrences, ce que dit Cesar, que les choses nous
paroissent souuent plus grandes de loing que de pres: i'ay trouué
que sain i'auois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors•
que ie les ay senties.L'alegresse où ie suis, le plaisir et la force, me
font paroistre l'autre estat si disproportionné à celuy-là, que par
imagination ie grossis ces incommoditez de la moitié, et les conçoy
plus poisantes, que ie ne les trouue, quand ie les ay sur les espaules.
I'espere qu'il m'en aduiendra ainsi de la mort.Voyons à ces mutations3
et declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature
nous desrobe la veuë de nostre perte et empirement.Que reste-il à
vn vieillard de la vigueur de sa ieunesse, et de sa vie passee?
Heu senibus vitæ portio quanta manet!
Cesar à vn soldat de sa garde recreu et cassé, qui vint en la ruë,•
luy demander congé de se faire mourir: regardant son maintien
decrepite, respondit plaisamment: Tu penses donc estre en vie.
Qui y tomberoit tout à vn coup, ie ne crois pas que nous fussions
capables de porter vn tel changement: mais conduicts par
sa main, d'vne douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré4
en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y appriuoise.
Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la ieunesse
meurt en nous: qui est en essence et en verité, vne mort plus dure,
que n'est la mort entiere d'vne vie languissante; et que n'est la
mort de la vieillesse: d'autant que le sault n'est pas si lourd du•
mal estre au non estre, comme il est d'vn estre doux et fleurissant,
à vn estre penible et douloureux.Le corps courbe et plié a
moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame.Il la faut
dresser et esleuer contre l'effort de cet aduersaire.Car comme il
est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint:1
si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter, qui est chose comme
surpassant l'humaine condition, qu'il est impossible que l'inquietude,
le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster•
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Iouis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences; maistresse
de l'indigence, de la honte, de la pauureté, et de toutes autres
iniures de fortune.Gagnons cet aduantage qui pourra: c'est icy la2
vraye et souueraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue
à la force, et à l'iniustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sæuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,•
Hoc sentit, moriar: mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain,
que le mespris de la vie.Non seulement le discours de la raison
nous y appelle; car pourquoy craindrions nous de perdre vne
chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée?mais aussi puis que3
nous sommes menacez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus
de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir vne?Que chaut-il,
quand ce soit, puis qu'elle est ineuitable?A celuy qui disoit à
Socrates; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort: Et nature,
eux, respondit-il.Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du•
passage à l'exemption de toute peine?Comme nostre naissance
nous apporta la naissance de toutes choses: aussi fera la mort de
toutes choses, nostre mort.Parquoy c'est pareille folie de pleurer
de ce que d'icy à cent ans nous ne viurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne viuions pas, il y a cent ans.La mort est origine4
d'vne autre vie: ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il
d'entrer en cette-cy: ainsi nous despouillasmes nous de nostre
ancien voile, en y entrant.Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'vne
fois.Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief
temps?Le long temps viure, et le peu de temps viure est rendu
tout vn par la mort.Car le long et le court n'est point aux choses
qui ne sont plus.Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la
riuiere Hypanis, qui ne viuent qu'vn iour.Celle qui meurt à huict•
heures du matin, elle meurt en ieunesse: celle qui meurt à cinq
heures du soir, meurt en sa decrepitude.Qui de nous ne se mocque
de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment
de durée?Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à
l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des riuieres, des1
estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins
ridicule.Mais nature nous y force.Sortez, dit-elle, de ce monde,
comme vous y estes entrez.Le mesme passage que vous fistes de la
mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la
mort.Vostre mort est vne des pieces de l'ordre de l'vniuers, c'est•
vne piece de la vie du monde.
inter se mortales mutua viuunt,
Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.
Changeray-ie pas pour vous cette belle contexture des choses?C'est
la condition de vostre creation; c'est vne partie de vous que la2
mort: vous vous fuyez vous mesmes.Cettuy vostre estre, que vous
iouyssez, est également party à la mort et à la vie.Le premier iour
de vostre naissance vous achemine à mourir comme à viure.
Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.•
Tout ce que vous viués, vous le desrobés à la vie: c'est à ses despens.
Le continuel ouurage de vostre vie, c'est bastir la mort.
Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie: car vous
estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie.Ou, si vous
l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie: mais pendant la3
vie, vous estes mourant: et la mort touche bien plus rudement le
mourant que le mort, et plus viuement et essentiellement.Si vous
auez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous
en satisfaict.
Cur non vt plenus vitæ conuiua recedis?•
Si vous n'en auez sçeu vser, si elle vous estoit inutile, que vous
chaut-il de l'auoir perduë?à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quæris
Rursum quod pereat malè, et ingratum occidat omne?
La vie n'est de soy ny bien ny mal: c'est la place du bien et du4
mal, selon que vous la leur faictes.Et si vous auez vescu vn iour,
vous auez tout veu: vn iour est égal à tous iours.Il n'y a point
d'autre lumiere, ny d'autre nuict.Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles,
cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont
iouye, et qui entretiendra vos arriere-nepueux.
Non alium videre patres: aliumve nepotes•
Aspicient.
Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma
comedie, se parfournit en vn an.Si vous auez pris garde au branle
de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la
virilité, et la vieillesse du monde.Il a ioüé son ieu: il n'y sçait1
autre finesse, que de recommencer; ce sera tousiours cela mesme.
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.
Ie ne suis pas deliberée de vous forger autres nouueaux passetemps.
Nam tibi præterea quod machiner, inueniámque•
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite.L'equalité
est la premiere piece de l'equité.Qui se peut plaindre d'estre
comprins où tous sont comprins?Aussi auez vous beau viure, vous
n'en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort: c'est pour2
neant; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez,
comme si vous estiez mort en nourrisse:
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.
capables de porter vn tel changement: mais conduicts par
sa main, d'vne douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré4
en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y appriuoise.
Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la ieunesse
meurt en nous: qui est en essence et en verité, vne mort plus dure,
que n'est la mort entiere d'vne vie languissante; et que n'est la
mort de la vieillesse: d'autant que le sault n'est pas si lourd du•
mal estre au non estre, comme il est d'vn estre doux et fleurissant,
à vn estre penible et douloureux.Le corps courbe et plié a
moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame.Il la faut
dresser et esleuer contre l'effort de cet aduersaire.Car comme il
est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint:1
si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter, qui est chose comme
surpassant l'humaine condition, qu'il est impossible que l'inquietude,
le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster•
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Iouis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences; maistresse
de l'indigence, de la honte, de la pauureté, et de toutes autres
iniures de fortune.Gagnons cet aduantage qui pourra: c'est icy la2
vraye et souueraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue
à la force, et à l'iniustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sæuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,•
Hoc sentit, moriar: mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain,
que le mespris de la vie.Non seulement le discours de la raison
nous y appelle; car pourquoy craindrions nous de perdre vne
chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée?mais aussi puis que3
nous sommes menacez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus
de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir vne?Que chaut-il,
quand ce soit, puis qu'elle est ineuitable?A celuy qui disoit à
Socrates; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort: Et nature,
eux, respondit-il.Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du•
passage à l'exemption de toute peine?Comme nostre naissance
nous apporta la naissance de toutes choses: aussi fera la mort de
toutes choses, nostre mort.Parquoy c'est pareille folie de pleurer
de ce que d'icy à cent ans nous ne viurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne viuions pas, il y a cent ans.La mort est origine4
d'vne autre vie: ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il
d'entrer en cette-cy: ainsi nous despouillasmes nous de nostre
ancien voile, en y entrant.Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'vne
fois.Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief
temps?Le long temps viure, et le peu de temps viure est rendu
tout vn par la mort.Car le long et le court n'est point aux choses
qui ne sont plus.Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la
riuiere Hypanis, qui ne viuent qu'vn iour.Celle qui meurt à huict•
heures du matin, elle meurt en ieunesse: celle qui meurt à cinq
heures du soir, meurt en sa decrepitude.Qui de nous ne se mocque
de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment
de durée?Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à
l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des riuieres, des1
estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins
ridicule.Mais nature nous y force.Sortez, dit-elle, de ce monde,
comme vous y estes entrez.Le mesme passage que vous fistes de la
mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la
mort.Vostre mort est vne des pieces de l'ordre de l'vniuers, c'est•
vne piece de la vie du monde.
inter se mortales mutua viuunt,
Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.
Changeray-ie pas pour vous cette belle contexture des choses?C'est
la condition de vostre creation; c'est vne partie de vous que la2
mort: vous vous fuyez vous mesmes.Cettuy vostre estre, que vous
iouyssez, est également party à la mort et à la vie.Le premier iour
de vostre naissance vous achemine à mourir comme à viure.
Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.•
Tout ce que vous viués, vous le desrobés à la vie: c'est à ses despens.
Le continuel ouurage de vostre vie, c'est bastir la mort.
Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie: car vous
estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie.Ou, si vous
l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie: mais pendant la3
vie, vous estes mourant: et la mort touche bien plus rudement le
mourant que le mort, et plus viuement et essentiellement.Si vous
auez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous
en satisfaict.
Cur non vt plenus vitæ conuiua recedis?•
Si vous n'en auez sçeu vser, si elle vous estoit inutile, que vous
chaut-il de l'auoir perduë?à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quæris
Rursum quod pereat malè, et ingratum occidat omne?
La vie n'est de soy ny bien ny mal: c'est la place du bien et du4
mal, selon que vous la leur faictes.Et si vous auez vescu vn iour,
vous auez tout veu: vn iour est égal à tous iours.Il n'y a point
d'autre lumiere, ny d'autre nuict.Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles,
cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont
iouye, et qui entretiendra vos arriere-nepueux.
Non alium videre patres: aliumve nepotes•
Aspicient.
Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma
comedie, se parfournit en vn an.Si vous auez pris garde au branle
de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la
virilité, et la vieillesse du monde.Il a ioüé son ieu: il n'y sçait1
autre finesse, que de recommencer; ce sera tousiours cela mesme.
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.
Ie ne suis pas deliberée de vous forger autres nouueaux passetemps.
Nam tibi præterea quod machiner, inueniámque•
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite.L'equalité
est la premiere piece de l'equité.Qui se peut plaindre d'estre
comprins où tous sont comprins?Aussi auez vous beau viure, vous
n'en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort: c'est pour2
neant; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez,
comme si vous estiez mort en nourrisse:
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.
Et si vous mettray en tel point, auquel vous n'aurez aucun mescontentement.•
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.3
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.3
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.
La mort est moins à craindre que rien, s'il y auoit quelque chose
de moins, que rien.
multo mortem minus ad nos esse putandum,•
Si minus esse potest quàm quod nihil esse videmus.
Elle ne vous concerne ny mort ny vif.Vif, par ce que vous estes:
mort, par ce que vous n'estes plus.D'auantage nul ne meurt auant
son heure.Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre,
que celuy qui s'est passé auant vostre naissance: et ne vous touche4
non plus.
Respice enim quàm nil ad nos antè acta vetustas
Temporis æterni fuerit.
de moins, que rien.
multo mortem minus ad nos esse putandum,•
Si minus esse potest quàm quod nihil esse videmus.
Elle ne vous concerne ny mort ny vif.Vif, par ce que vous estes:
mort, par ce que vous n'estes plus.D'auantage nul ne meurt auant
son heure.Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre,
que celuy qui s'est passé auant vostre naissance: et ne vous touche4
non plus.
Respice enim quàm nil ad nos antè acta vetustas
Temporis æterni fuerit.
Où que vostre vie finisse, elle y est toute.L'vtilité du viure n'est
pas en l'espace: elle est en l'vsage.Tel a vescu long temps, qui a•
peu vescu.Attendez vous y pendant que vous y estes.Il gist en
vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu.
Pensiez vous iamais n'arriuer là, où vous alliez sans cesse?encore
n'y a-il chemin qui n'aye son issuë.Et si la compagnie vous peut
soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.
pas en l'espace: elle est en l'vsage.Tel a vescu long temps, qui a•
peu vescu.Attendez vous y pendant que vous y estes.Il gist en
vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu.
Pensiez vous iamais n'arriuer là, où vous alliez sans cesse?encore
n'y a-il chemin qui n'aye son issuë.Et si la compagnie vous peut
soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.
Tout ne branle-il pas vostre branle?y a-il chose qui ne vieillisse
quant et vous?Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures•
meurent en ce mesme instant que vous mourez.
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.
quant et vous?Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures•
meurent en ce mesme instant que vous mourez.
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.
A quoy faire y reculez vous, si vous ne pouuez tirer arriere?1
Vous en auez assez veu qui se sont bien trouués de mourir, escheuant
par là des grandes miseres.Mais quelqu'vn qui s'en soit
mal trouué, en auez vous veu?Si est-ce grande simplesse, de condamner
chose que vous n'auez esprouuée ny par vous ny par autre.
Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée?Te faisons nous tort?•
Est-ce à toy de nous gouuerner, ou à nous toy?Encore que ton aage
ne soit pas acheué, ta vie l'est.Vn petit homme est homme entier
comme vn grand.Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à
l'aune.Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle,
par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son2
pere.Imaginez de vray, combien seroit vne vie perdurable, moins
supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que ie luy
ay donnée.Si vous n'auiez la mort, vous me maudiriez sans cesse
de vous en auoir priué.I'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume,
pour vous empescher, voyant la commodité de son vsage, de•
l'embrasser trop auidement et indiscretement.Pour vous loger en
cette moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que ie
demande de vous; i'ay temperé l'vne et l'autre entre la douceur et
l'aigreur.I'apprins à Thales le premier de voz sages, que le viure
et le mourir estoit indifferent: par où, à celuy qui luy demanda,3
pourquoy donc il ne mouroit, il respondit tressagement, Pour ce
qu'il est indifferent.L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres
de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie,
qu'instruments de ta mort.Pourquoy crains-tu ton dernier iour?Il
ne confere non plus à ta mort que chascun des autres.Le dernier•
pas ne faict pas la lassitude: il la declaire.Tous les iours vont à la
mort: le dernier y arriue.Voila les bons aduertissemens de nostre
mere Nature.Or i'ay pensé souuent d'où venoit cela, qu'aux
guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en
autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos
maisons: autrement ce seroit vne armée de medecins et de pleurars:•
et elle estant tousiours vne, qu'il y ait toutes-fois beaucoup
plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition
qu'és autres.Ie croy à la verité que ce sont ces mines et appareils
effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur
qu'elle: vne toute nouuelle forme de viure: les cris des meres, des1
femmes, et des enfans: la visitation de personnes estonnees, et
transies: l'assistance d'vn nombre de valets pasles et éplorés: vne
chambre sans iour: des cierges allumez: nostre cheuet assiegé de
medecins et de prescheurs: somme tout horreur et tout effroy autour
de nous.Nous voyla des-ia enseuelis et enterrez.Les enfans•
ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez; aussi
auons nous.Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des
personnes.Osté qu'il sera, nous ne trouuerons au dessoubs, que
cette mesme mort, qu'vn valet ou simple chambriere passerent dernierement
sans peur.Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests2
de tel equipage!
Vous en auez assez veu qui se sont bien trouués de mourir, escheuant
par là des grandes miseres.Mais quelqu'vn qui s'en soit
mal trouué, en auez vous veu?Si est-ce grande simplesse, de condamner
chose que vous n'auez esprouuée ny par vous ny par autre.
Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée?Te faisons nous tort?•
Est-ce à toy de nous gouuerner, ou à nous toy?Encore que ton aage
ne soit pas acheué, ta vie l'est.Vn petit homme est homme entier
comme vn grand.Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à
l'aune.Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle,
par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son2
pere.Imaginez de vray, combien seroit vne vie perdurable, moins
supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que ie luy
ay donnée.Si vous n'auiez la mort, vous me maudiriez sans cesse
de vous en auoir priué.I'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume,
pour vous empescher, voyant la commodité de son vsage, de•
l'embrasser trop auidement et indiscretement.Pour vous loger en
cette moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que ie
demande de vous; i'ay temperé l'vne et l'autre entre la douceur et
l'aigreur.I'apprins à Thales le premier de voz sages, que le viure
et le mourir estoit indifferent: par où, à celuy qui luy demanda,3
pourquoy donc il ne mouroit, il respondit tressagement, Pour ce
qu'il est indifferent.L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres
de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie,
qu'instruments de ta mort.Pourquoy crains-tu ton dernier iour?Il
ne confere non plus à ta mort que chascun des autres.Le dernier•
pas ne faict pas la lassitude: il la declaire.Tous les iours vont à la
mort: le dernier y arriue.Voila les bons aduertissemens de nostre
mere Nature.Or i'ay pensé souuent d'où venoit cela, qu'aux
guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en
autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos
maisons: autrement ce seroit vne armée de medecins et de pleurars:•
et elle estant tousiours vne, qu'il y ait toutes-fois beaucoup
plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition
qu'és autres.Ie croy à la verité que ce sont ces mines et appareils
effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur
qu'elle: vne toute nouuelle forme de viure: les cris des meres, des1
femmes, et des enfans: la visitation de personnes estonnees, et
transies: l'assistance d'vn nombre de valets pasles et éplorés: vne
chambre sans iour: des cierges allumez: nostre cheuet assiegé de
medecins et de prescheurs: somme tout horreur et tout effroy autour
de nous.Nous voyla des-ia enseuelis et enterrez.Les enfans•
ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez; aussi
auons nous.Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des
personnes.Osté qu'il sera, nous ne trouuerons au dessoubs, que
cette mesme mort, qu'vn valet ou simple chambriere passerent dernierement
sans peur.Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests2
de tel equipage!
CHAPITRE XX. (TRADUCTION LIV.I, CH.XX.)
De la force de l'imagination.
FORTIS imaginatio generat casum, disent les clercs.
Ie suis de ceux qui sentent tresgrand effort de l'imagination.
Chacun en est heurté, mais aucuns en sont renuersez.Son impression
me perse; et mon art est de luy eschapper, par faute de force à luy•
resister.Ie viuroye de la seule assistance de personnes saines et
gaies.La veuë des angoisses d'autruy m'angoisse materiellement:
et a mon sentiment souuent vsurpé le sentiment d'vn tiers.Vn tousseur
continuel irrite mon poulmon et mon gosier.Ie visite plus mal
volontiers les malades, ausquels le deuoir m'interesse, que ceux
ausquels ie m'attens moins, et que ie considere moins.Ie saisis le
mal, que i'estudie, et le couche en moy.Ie ne trouue pas estrange
qu'elle donne et les fieures, et la mort, à ceux qui la laissent faire, et•
qui luy applaudissent.Simon Thomas estoit vn grand medecin de
son temps.Il me souuient que me rencontrant vn iour à Thoulouse
chez vn riche vieillard pulmonique, et traittant auec luy des moyens
de sa guarison, il luy dist, que c'en estoit l'vn, de me donner occasion
de me plaire en sa compagnie: et que fichant ses yeux sur1
la frescheur de mon visage, et sa pensée sur cette allegresse et vigueur,
qui regorgeoit de mon adolescence: et remplissant tous ses
sens de cet estat florissant en quoy i'estoy lors, son habitude s'en
pourroit amender: mais il oublioit à dire, que la mienne s'en pourroit
empirer aussi.Gallus Vibius banda si bien son ame, à comprendre•
l'essence et les mouuemens de la folie, qu'il emporta son
iugement hors de son siege, si qu'onques puis il ne l'y peut remettre:
et se pouuoit vanter d'estre deuenu fol par sagesse.Il y en a,
qui de frayeur anticipent la main du bourreau; et celuy qu'on
debandoit pour luy lire sa grace, se trouua roide mort sur l'eschaffaut2
du seul coup de son imagination.Nous tressuons, nous tremblons,
nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations;
et renuersez dans la plume sentons nostre corps agité à leur
bransle, quelques-fois iusques à en expirer.Et la ieunesse bouillante
s'eschauffe si auant en son harnois toute endormie, qu'elle•
assouuit en songe ses amoureux desirs.
Vt quasi transactis sæpe omnibus rebu' profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.
Ie suis de ceux qui sentent tresgrand effort de l'imagination.
Chacun en est heurté, mais aucuns en sont renuersez.Son impression
me perse; et mon art est de luy eschapper, par faute de force à luy•
resister.Ie viuroye de la seule assistance de personnes saines et
gaies.La veuë des angoisses d'autruy m'angoisse materiellement:
et a mon sentiment souuent vsurpé le sentiment d'vn tiers.Vn tousseur
continuel irrite mon poulmon et mon gosier.Ie visite plus mal
volontiers les malades, ausquels le deuoir m'interesse, que ceux
ausquels ie m'attens moins, et que ie considere moins.Ie saisis le
mal, que i'estudie, et le couche en moy.Ie ne trouue pas estrange
qu'elle donne et les fieures, et la mort, à ceux qui la laissent faire, et•
qui luy applaudissent.Simon Thomas estoit vn grand medecin de
son temps.Il me souuient que me rencontrant vn iour à Thoulouse
chez vn riche vieillard pulmonique, et traittant auec luy des moyens
de sa guarison, il luy dist, que c'en estoit l'vn, de me donner occasion
de me plaire en sa compagnie: et que fichant ses yeux sur1
la frescheur de mon visage, et sa pensée sur cette allegresse et vigueur,
qui regorgeoit de mon adolescence: et remplissant tous ses
sens de cet estat florissant en quoy i'estoy lors, son habitude s'en
pourroit amender: mais il oublioit à dire, que la mienne s'en pourroit
empirer aussi.Gallus Vibius banda si bien son ame, à comprendre•
l'essence et les mouuemens de la folie, qu'il emporta son
iugement hors de son siege, si qu'onques puis il ne l'y peut remettre:
et se pouuoit vanter d'estre deuenu fol par sagesse.Il y en a,
qui de frayeur anticipent la main du bourreau; et celuy qu'on
debandoit pour luy lire sa grace, se trouua roide mort sur l'eschaffaut2
du seul coup de son imagination.Nous tressuons, nous tremblons,
nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations;
et renuersez dans la plume sentons nostre corps agité à leur
bransle, quelques-fois iusques à en expirer.Et la ieunesse bouillante
s'eschauffe si auant en son harnois toute endormie, qu'elle•
assouuit en songe ses amoureux desirs.
Vt quasi transactis sæpe omnibus rebu' profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.
Et encore qu'il ne soit pas nouueau de voir croistre la nuict des
cornes à tel, qui ne les auoit pas en se couchant: toutesfois l'euenement3
de Cyppus Roy d'Italie est memorable, lequel pour auoir
assisté le iour auec grande affection au combat des taureaux, et
avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit
en son front par la force de l'imagination.La passion donna au fils
de Crœsus la voix, que nature luy auoit refusée.Et Antiochus print•
la fieure, par la beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en
son ame.Pline dit auoir veu Lucius Cossitius, de femme changé en
homme le iour de ses nopces.Pontanus et d'autres racontent pareilles
metamorphoses aduenuës en Italie ces siecles passez: et par
vehement desir de luy et de sa mere,4
Vota puer soluit, quæ fæmina vouerat Iphis.
cornes à tel, qui ne les auoit pas en se couchant: toutesfois l'euenement3
de Cyppus Roy d'Italie est memorable, lequel pour auoir
assisté le iour auec grande affection au combat des taureaux, et
avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit
en son front par la force de l'imagination.La passion donna au fils
de Crœsus la voix, que nature luy auoit refusée.Et Antiochus print•
la fieure, par la beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en
son ame.Pline dit auoir veu Lucius Cossitius, de femme changé en
homme le iour de ses nopces.Pontanus et d'autres racontent pareilles
metamorphoses aduenuës en Italie ces siecles passez: et par
vehement desir de luy et de sa mere,4
Vota puer soluit, quæ fæmina vouerat Iphis.
Passant à Vitry le François ie peu voir vn homme que l'Euesque de
Soissons auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitans
de là ont cogneu, et veu fille, iusques à l'aage de vingt deux
ans, nommée Marie.Il estoit à cette heure là fort barbu, et vieil,
et point marié.Faisant, dit-il, quelque effort en saultant, ses membres•
virils se produisirent: et est encore en vsage entre les filles
de là, vne chanson, par laquelle elles s'entraduertissent de ne
faire point de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons,
comme Marie Germain.Ce n'est pas tant de merueille que cette
sorte d'accident se rencontre frequent: car si l'imagination peut1
en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement
attachée à ce subiect, que pour n'auoir si souuent à rechoir en
mesme pensée et aspreté de desir, elle a meilleur compte d'incorporer,
vne fois pour toutes, cette virile partie aux filles.Les vns
attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy Dagobert•
et de Sainct François.On dit que les corps s'en-enleuent telle
fois de leur place.Et Celsus recite d'vn Prestre, qui rauissoit son
ame en telle extase, que le corps en demeuroit longue espace sans
respiration et sans sentiment.Sainct Augustin en nomme vn autre,
à qui il ne falloit que faire ouïr des cris lamentables et plaintifs:2
soudain il defailloit, et s'emportoit si viuement hors de soy, qu'on
auoit beau le tempester, et hurler, et le pincer, et le griller, iusques
à ce qu'il fust resuscité: lors il disoit auoir ouy des voix, mais
comme venant de loing: et s'aperceuoit de ses eschaudures et
meurtrisseures.Et que ce ne fust vne obstination apostée contre son•
sentiment, cela le montroit, qu'il n'auoit ce pendant ny poulx ny
haleine.Il est vraysemblable, que le principal credit des visions,
des enchantemens, et de tels effects extraordinaires, vienne de la
puissance de l'imagination, agissant principalement contre les ames
du vulgaire, plus molles.On leur a si fort saisi la creance, qu'ils3
pensent voir ce qu'ils ne voyent pas.Ie suis encore en ce doubte,
que ces plaisantes liaisons dequoy nostre monde se voit si entraué
qu'il ne se parle d'autre chose, ce sont volontiers des impressions
de l'apprehension et de la crainte.Car ie sçay par experience, que
tel de qui ie puis respondre, comme de moy-mesme, en qui il ne•
pouuoit choir soupçon aucun de foiblesse, et aussi peu d'enchantement,
ayant ouy faire le conte à vn sien compagnon d'vne defaillance
extraordinaire, en quoy il estoit tombé sur le point qu'il en
auoit le moins de besoin, se trouuant en pareille occasion, l'horreur
de ce conte luy vint à coup si rudement frapper l'imagination, qu'il
en courut vne fortune pareille.Et de là en hors fut subiect à y renchoir:
ce villain souuenir de son inconuenient le gourmandant et
tyrannisant.Il trouua quelque remede à cette resuerie, par vne•
autre resuerie.C'est qu'aduouant luy mesme, et preschant auant la
main, cette sienne subiection, la contention de son ame se soulageoit,
sur ce, qu'apportant ce mal comme attendu, son obligation en
amoindrissoit, et luy en poisoit moins.Quand il a eu loy, à son
chois (sa pensée desbrouillée et desbandée, son corps se trouuant en1
son deu) de le faire lors premierement tenter, saisir, et surprendre
à la cognoissance d'autruy, il s'est guari tout net.A qui on a esté
vne fois capable, on n'est plus incapable, sinon par iuste foiblesse.
Ce malheur n'est à craindre qu'aux entreprinses, où nostre ame se
trouue outre mesure tendue de desir et de respect; et notamment•
où les commoditez se rencontrent improuueues et pressantes.On
n'a pas moyen de se rauoir de ce trouble.I'en sçay, à qui il a seruy
d'y apporter le corps mesme, demy rassasié d'ailleurs, pour endormir
l'ardeur de cette fureur, et qui par l'aage, se trouue moins impuissant,
de ce qu'il est moins puissant: et tel autre, à qui il2
a serui aussi qu'vn amy l'ayt asseuré d'estre fourni d'vne contrebatterie
d'enchantemens certains, à le preseruer.Il vaut mieux, que ie
die comment ce fut.Vn Comte de tresbon lieu, de qui i'estoye
fort priué, se mariant auec vne belle dame, qui auoit esté poursuiuie
de tel qui assistoit à la feste, mettoit en grande peine ses amis:•
et nommément vne vieille dame sa parente, qui presidoit à ces
nopces, et les faisoit chez elle, craintiue de ces sorcelleries: ce
qu'elle me fit entendre.Ie la priay s'en reposer sur moy.I'auoye de
fortune en mes coffres, certaine petite piece d'or platte, où estoient
grauées quelques figures celestes, contre le coup du Soleil, et pour3
oster la douleur de teste, la logeant à point, sur la cousture du test:
et pour l'y tenir, elle estoit cousuë à vn ruban propre à rattacher
souz le menton.Resuerie germaine à celle dequoy nous parlons.
Iacques Peletier, viuant chez moy, m'auoit faict ce present singulier.
I'aduisay d'en tirer quelque vsage, et dis au Comte, qu'il pourroit•
courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour
luy en vouloir prester vne; mais que hardiment il s'allast coucher:
que ie luy feroy vn tour d'amy: et n'espargneroys à son besoin, vn
miracle, qui estoit en ma puissance: pourueu que sur son honneur,
il me promist de le tenir tresfidelement secret.Seulement,4
comme sur la nuict on iroit luy porter le resueillon, s'il luy estoit
mal allé, il me fist vn tel signe.Il avoit eu l'ame et les oreilles si
battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagination: et me
feit son signe à l'heure susditte.Ie luy dis lors à l'oreille, qu'il se
leuast, souz couleur de nous chasser, et prinst en se iouant la•
robbe de nuict, que i'auoye sur moy (nous estions de taille fort
voisine) et s'en vestist, tant qu'il auroit executé mon ordonnance,
qui fut; Quand nous serions sortis, qu'il se retirast à tomber de
l'eaue: dist trois fois telles parolles: et fist tels mouuements.Qu'à
chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban, que ie luy mettoys1
en main, et couchast bien soigneusement la medaille qui y estoit
attachée, sur ses roignons: la figure en telle posture.Cela faict,
ayant à la derniere fois bien estreint ce ruban, pour qu'il ne se
peust ny desnouer, ny mouuoir de sa place, qu'en toute asseurance
il s'en retournast à son prix faict: et n'oubliast de reietter ma•
robbe sur son lict, en maniere qu'elle les abriast tous deux.Ces
singeries sont le principal de l'effect.Nostre pensée ne se pouuant
desmesler, que moyens si estranges ne viennent de quelque abstruse
science.Leur inanité leur donne poids et reuerence.Somme
il fut certain, que mes characteres se trouuerent plus Veneriens2
que Solaires, plus en action qu'en prohibition.Ce fut vne humeur
prompte et curieuse, qui me conuia à tel effect, esloigné de ma nature.
Ie suis ennemy des actions subtiles et feintes: et hay la
finesse, en mes mains, non seulement recreatiue, mais aussi profitable.
Si l'action n'est vicieuse, la routte l'est.Amasis Roy d'Ægypte,•
espousa Laodice tresbelle fille Grecque: et luy, qui se montroit
gentil compagnon par tout ailleurs, se trouua court à iouïr
d'elle: et menaça de la tuer, estimant que ce fust quelque sorcerie.
Comme és choses qui consistent en fantasie, elle le reietta à la deuotion:
et ayant faict ses vœus et promesses à Venus, il se trouua3
diuinement remis, dés la premiere nuict, d'apres ses oblations et
sacrifices.Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances
mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous
allumant.La bru de Pythagoras, disoit, que la femme qui se
couche auec vn homme, doit auec sa cotte laisser quant et quant la•
honte, et la reprendre auec sa cotte.L'ame de l'assaillant troublée
de plusieurs diuerses allarmes, se perd aisement.Et à qui l'imagination
a faict vne fois souffrir cette honte (et elle ne la fait souffrir
qu'aux premieres accointances, d'autant qu'elles sont plus ardantes
et aspres; et aussi qu'en cette premiere cognoissance qu'on donne
de soy, on craint beaucoup plus de faillir) ayant mal commencé, il
entre en fieure et despit de cet accident, qui luy dure aux occasions
suiuantes.Les mariez, le temps estant tout leur, ne doiuent ny•
presser ny taster leur entreprinse, s'ils ne sont prests.Et vault
mieux faillir indecemment, à estreiner la couche nuptiale, pleine
d'agitation et de fieure, attendant vne et vne autre commodité plus
priuée et moins allarmée, que de tomber en vne perpetuelle misere,
pour s'estre estonné et desesperé du premier refus.Auant la possession1
prinse, le patient se doibt à saillies et diuers temps, legerement
essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer, à se conuaincre
definitiuement soy-mesme.Ceux qui sçauent leurs membres de
nature dociles, qu'ils se soignent seulement de contre-pipper leur
fantasie.On a raison de remarquer l'indocile liberté de ce membre,•
s'ingerant si importunément lors que nous n'en auons que
faire, et defaillant si importunément lors que nous en auons le plus
affaire: et contestant de l'authorité, si imperieusement, auec nostre
volonté, refusant auec tant de fierté et d'obstination noz solicitations
et mentales et manuelles.Si toutesfois en ce qu'on gourmande2
sa rebellion, et qu'on en tire preuue de sa condemnation, il m'auoit
payé pour plaider sa cause: à l'aduenture mettroy-ie en souspeçon
noz autres membres ses compagnons, de luy estre allé dresser par
belle enuie, de l'importance et douceur de son vsage, cette querelle
apostée, et auoir par complot, armé le monde à l'encontre de luy,•
le chargeant malignement seul de leur faute commune.Car ie vous
donne à penser, s'il y a vne seule des parties de nostre corps, qui
ne refuse à nostre volonté souuent son operation, et qui souuent ne
s'exerce contre nostre volonté: elles ont chacune des passions
propres, qui les esueillent et endorment, sans nostre congé.A3
quant de fois tesmoignent les mouuements forcez de nostre visage,
les pensées que nous tenions secrettes, et nous trahissent aux
assistants?Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi
sans nostre sceu, le cœur, le poulmon, et le pouls: la veue d'vn
obiect agreable, respandant imperceptiblement en nous la flamme•
d'vne emotion fieureuse.N'y a-il que ces muscles et ces veines,
qui s'eleuent et se couchent, sans l'adueu non seulement de nostre
volonté, mais aussi de notre pensée?Nous ne commandons pas à
noz cheueux de se herisser, et à nostre peau de fremir de desir ou
de crainte.La main se porte souuent où nous ne l'enuoyons pas.
La langue se transit, et la voix se fige à son heure.Lors mesme•
que n'ayans de quoy frire, nous le luy deffendrions volontiers,
l'appetit de manger et de boire ne laisse pas d'emouuoir les parties,
qui luy sont subiettes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et
nous abandonne de mesme, hors de propos, quand bon luy semble.
Soissons auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitans
de là ont cogneu, et veu fille, iusques à l'aage de vingt deux
ans, nommée Marie.Il estoit à cette heure là fort barbu, et vieil,
et point marié.Faisant, dit-il, quelque effort en saultant, ses membres•
virils se produisirent: et est encore en vsage entre les filles
de là, vne chanson, par laquelle elles s'entraduertissent de ne
faire point de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons,
comme Marie Germain.Ce n'est pas tant de merueille que cette
sorte d'accident se rencontre frequent: car si l'imagination peut1
en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement
attachée à ce subiect, que pour n'auoir si souuent à rechoir en
mesme pensée et aspreté de desir, elle a meilleur compte d'incorporer,
vne fois pour toutes, cette virile partie aux filles.Les vns
attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy Dagobert•
et de Sainct François.On dit que les corps s'en-enleuent telle
fois de leur place.Et Celsus recite d'vn Prestre, qui rauissoit son
ame en telle extase, que le corps en demeuroit longue espace sans
respiration et sans sentiment.Sainct Augustin en nomme vn autre,
à qui il ne falloit que faire ouïr des cris lamentables et plaintifs:2
soudain il defailloit, et s'emportoit si viuement hors de soy, qu'on
auoit beau le tempester, et hurler, et le pincer, et le griller, iusques
à ce qu'il fust resuscité: lors il disoit auoir ouy des voix, mais
comme venant de loing: et s'aperceuoit de ses eschaudures et
meurtrisseures.Et que ce ne fust vne obstination apostée contre son•
sentiment, cela le montroit, qu'il n'auoit ce pendant ny poulx ny
haleine.Il est vraysemblable, que le principal credit des visions,
des enchantemens, et de tels effects extraordinaires, vienne de la
puissance de l'imagination, agissant principalement contre les ames
du vulgaire, plus molles.On leur a si fort saisi la creance, qu'ils3
pensent voir ce qu'ils ne voyent pas.Ie suis encore en ce doubte,
que ces plaisantes liaisons dequoy nostre monde se voit si entraué
qu'il ne se parle d'autre chose, ce sont volontiers des impressions
de l'apprehension et de la crainte.Car ie sçay par experience, que
tel de qui ie puis respondre, comme de moy-mesme, en qui il ne•
pouuoit choir soupçon aucun de foiblesse, et aussi peu d'enchantement,
ayant ouy faire le conte à vn sien compagnon d'vne defaillance
extraordinaire, en quoy il estoit tombé sur le point qu'il en
auoit le moins de besoin, se trouuant en pareille occasion, l'horreur
de ce conte luy vint à coup si rudement frapper l'imagination, qu'il
en courut vne fortune pareille.Et de là en hors fut subiect à y renchoir:
ce villain souuenir de son inconuenient le gourmandant et
tyrannisant.Il trouua quelque remede à cette resuerie, par vne•
autre resuerie.C'est qu'aduouant luy mesme, et preschant auant la
main, cette sienne subiection, la contention de son ame se soulageoit,
sur ce, qu'apportant ce mal comme attendu, son obligation en
amoindrissoit, et luy en poisoit moins.Quand il a eu loy, à son
chois (sa pensée desbrouillée et desbandée, son corps se trouuant en1
son deu) de le faire lors premierement tenter, saisir, et surprendre
à la cognoissance d'autruy, il s'est guari tout net.A qui on a esté
vne fois capable, on n'est plus incapable, sinon par iuste foiblesse.
Ce malheur n'est à craindre qu'aux entreprinses, où nostre ame se
trouue outre mesure tendue de desir et de respect; et notamment•
où les commoditez se rencontrent improuueues et pressantes.On
n'a pas moyen de se rauoir de ce trouble.I'en sçay, à qui il a seruy
d'y apporter le corps mesme, demy rassasié d'ailleurs, pour endormir
l'ardeur de cette fureur, et qui par l'aage, se trouue moins impuissant,
de ce qu'il est moins puissant: et tel autre, à qui il2
a serui aussi qu'vn amy l'ayt asseuré d'estre fourni d'vne contrebatterie
d'enchantemens certains, à le preseruer.Il vaut mieux, que ie
die comment ce fut.Vn Comte de tresbon lieu, de qui i'estoye
fort priué, se mariant auec vne belle dame, qui auoit esté poursuiuie
de tel qui assistoit à la feste, mettoit en grande peine ses amis:•
et nommément vne vieille dame sa parente, qui presidoit à ces
nopces, et les faisoit chez elle, craintiue de ces sorcelleries: ce
qu'elle me fit entendre.Ie la priay s'en reposer sur moy.I'auoye de
fortune en mes coffres, certaine petite piece d'or platte, où estoient
grauées quelques figures celestes, contre le coup du Soleil, et pour3
oster la douleur de teste, la logeant à point, sur la cousture du test:
et pour l'y tenir, elle estoit cousuë à vn ruban propre à rattacher
souz le menton.Resuerie germaine à celle dequoy nous parlons.
Iacques Peletier, viuant chez moy, m'auoit faict ce present singulier.
I'aduisay d'en tirer quelque vsage, et dis au Comte, qu'il pourroit•
courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour
luy en vouloir prester vne; mais que hardiment il s'allast coucher:
que ie luy feroy vn tour d'amy: et n'espargneroys à son besoin, vn
miracle, qui estoit en ma puissance: pourueu que sur son honneur,
il me promist de le tenir tresfidelement secret.Seulement,4
comme sur la nuict on iroit luy porter le resueillon, s'il luy estoit
mal allé, il me fist vn tel signe.Il avoit eu l'ame et les oreilles si
battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagination: et me
feit son signe à l'heure susditte.Ie luy dis lors à l'oreille, qu'il se
leuast, souz couleur de nous chasser, et prinst en se iouant la•
robbe de nuict, que i'auoye sur moy (nous estions de taille fort
voisine) et s'en vestist, tant qu'il auroit executé mon ordonnance,
qui fut; Quand nous serions sortis, qu'il se retirast à tomber de
l'eaue: dist trois fois telles parolles: et fist tels mouuements.Qu'à
chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban, que ie luy mettoys1
en main, et couchast bien soigneusement la medaille qui y estoit
attachée, sur ses roignons: la figure en telle posture.Cela faict,
ayant à la derniere fois bien estreint ce ruban, pour qu'il ne se
peust ny desnouer, ny mouuoir de sa place, qu'en toute asseurance
il s'en retournast à son prix faict: et n'oubliast de reietter ma•
robbe sur son lict, en maniere qu'elle les abriast tous deux.Ces
singeries sont le principal de l'effect.Nostre pensée ne se pouuant
desmesler, que moyens si estranges ne viennent de quelque abstruse
science.Leur inanité leur donne poids et reuerence.Somme
il fut certain, que mes characteres se trouuerent plus Veneriens2
que Solaires, plus en action qu'en prohibition.Ce fut vne humeur
prompte et curieuse, qui me conuia à tel effect, esloigné de ma nature.
Ie suis ennemy des actions subtiles et feintes: et hay la
finesse, en mes mains, non seulement recreatiue, mais aussi profitable.
Si l'action n'est vicieuse, la routte l'est.Amasis Roy d'Ægypte,•
espousa Laodice tresbelle fille Grecque: et luy, qui se montroit
gentil compagnon par tout ailleurs, se trouua court à iouïr
d'elle: et menaça de la tuer, estimant que ce fust quelque sorcerie.
Comme és choses qui consistent en fantasie, elle le reietta à la deuotion:
et ayant faict ses vœus et promesses à Venus, il se trouua3
diuinement remis, dés la premiere nuict, d'apres ses oblations et
sacrifices.Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances
mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous
allumant.La bru de Pythagoras, disoit, que la femme qui se
couche auec vn homme, doit auec sa cotte laisser quant et quant la•
honte, et la reprendre auec sa cotte.L'ame de l'assaillant troublée
de plusieurs diuerses allarmes, se perd aisement.Et à qui l'imagination
a faict vne fois souffrir cette honte (et elle ne la fait souffrir
qu'aux premieres accointances, d'autant qu'elles sont plus ardantes
et aspres; et aussi qu'en cette premiere cognoissance qu'on donne
de soy, on craint beaucoup plus de faillir) ayant mal commencé, il
entre en fieure et despit de cet accident, qui luy dure aux occasions
suiuantes.Les mariez, le temps estant tout leur, ne doiuent ny•
presser ny taster leur entreprinse, s'ils ne sont prests.Et vault
mieux faillir indecemment, à estreiner la couche nuptiale, pleine
d'agitation et de fieure, attendant vne et vne autre commodité plus
priuée et moins allarmée, que de tomber en vne perpetuelle misere,
pour s'estre estonné et desesperé du premier refus.Auant la possession1
prinse, le patient se doibt à saillies et diuers temps, legerement
essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer, à se conuaincre
definitiuement soy-mesme.Ceux qui sçauent leurs membres de
nature dociles, qu'ils se soignent seulement de contre-pipper leur
fantasie.On a raison de remarquer l'indocile liberté de ce membre,•
s'ingerant si importunément lors que nous n'en auons que
faire, et defaillant si importunément lors que nous en auons le plus
affaire: et contestant de l'authorité, si imperieusement, auec nostre
volonté, refusant auec tant de fierté et d'obstination noz solicitations
et mentales et manuelles.Si toutesfois en ce qu'on gourmande2
sa rebellion, et qu'on en tire preuue de sa condemnation, il m'auoit
payé pour plaider sa cause: à l'aduenture mettroy-ie en souspeçon
noz autres membres ses compagnons, de luy estre allé dresser par
belle enuie, de l'importance et douceur de son vsage, cette querelle
apostée, et auoir par complot, armé le monde à l'encontre de luy,•
le chargeant malignement seul de leur faute commune.Car ie vous
donne à penser, s'il y a vne seule des parties de nostre corps, qui
ne refuse à nostre volonté souuent son operation, et qui souuent ne
s'exerce contre nostre volonté: elles ont chacune des passions
propres, qui les esueillent et endorment, sans nostre congé.A3
quant de fois tesmoignent les mouuements forcez de nostre visage,
les pensées que nous tenions secrettes, et nous trahissent aux
assistants?Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi
sans nostre sceu, le cœur, le poulmon, et le pouls: la veue d'vn
obiect agreable, respandant imperceptiblement en nous la flamme•
d'vne emotion fieureuse.N'y a-il que ces muscles et ces veines,
qui s'eleuent et se couchent, sans l'adueu non seulement de nostre
volonté, mais aussi de notre pensée?Nous ne commandons pas à
noz cheueux de se herisser, et à nostre peau de fremir de desir ou
de crainte.La main se porte souuent où nous ne l'enuoyons pas.
La langue se transit, et la voix se fige à son heure.Lors mesme•
que n'ayans de quoy frire, nous le luy deffendrions volontiers,
l'appetit de manger et de boire ne laisse pas d'emouuoir les parties,
qui luy sont subiettes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et
nous abandonne de mesme, hors de propos, quand bon luy semble.